Jean Forton : voyage au pays des nouvelles

La maison d’éditions Finitude propose un recueil de l’intégralité des nouvelles, dont trois inédites, de Jean Forton, écrivain et libraire bordelais au parcours littéraire atypique et intriguant décédé en 1982.

Des cochons et des hommes

On veut souvent prêter, à tort ou à raison, aux misanthropes les plus aguerris une tendresse dissimulée pour le genre humain. Le portrait que dresse Jean Forton de la société des hommes a de quoi en faire douter. Aucune haine sous cette plume pourtant acerbe, et certainement pas d’ostensibles considérations morales : juste un constat dressé en affichant une neutralité de façade qui confine quelquefois à la cruauté.

Chez Forton, les envolées lyriques et les nostalgies romantiques sont contredites par ce vieil homme qui regrette le bon vieux temps des bordels. Le courage du jeune résistant s’incarne dans un personnage niais et ballot qui prend le maquis comme d’autres boivent la tasse. Et les frasques de la jeunesse s’illustre dans le récit de vacances du jeune citadin qui profite d’un été à la campagne pour se livrer aux pires forfaits sans qu’en souffre sa conscience.

Car le champêtre, chez Forton, n’a pas le même goût que celui d’un Giono ou d’un Pagnol. La campagne est l’occasion de scènes de vie quotidienne bien singulières, depuis l’Alphonse niché dans son poirier pour protester contre les manières de sa femme jusqu’au récit de l’occupation allemande vue par les yeux d’un enfant tenant son journal, en passant par le récit de ce frère et de cette sœur qui adoptent pour quelques jours le cadavre d’un porcelet mort-né.

Les beaux voyages

Qu’on ne se méprenne pas : l’ouvrage n’a rien d’un musée des horreurs. Juste une galerie de personnages parfois pathétiques et quelquefois méprisables. Les jouisseurs grossiers restent la cible favorite d’un Forton qui dépeint avec une mordante ironie le bon-vivant voyageur qui ne connaîtra jamais de l’Espagne que ses bons ou mauvais restaurant, ou le confort dominical de l’homme de bien régnant en maître tolérant sur son épouse dévouée.

Parmi ces figures tellement mesquines dans leur suffisance apparaissent également d’autres personnages plus modestes, plus étranges. Le libraire qui se languit d’une vente, le prisonnier qui s’acharne à creuser son mur, le gratte-papier qui se découvre un talent de peintre. Et presque toujours l’ironie au bout du chemin, au bout de l’histoire, à moins que celle-ci ne choisisse plutôt de rester sur un inachevé ravageur.

Chaque nouvelle nous amène un nouveau ton, nous offre un nouveau regard, à travers ces anecdotes, ces tranches de vie, ces récits d’amoureux improbables, ces dialogues peut-être trop affectés mais redoutables de truculence. Forton nous plonge dans sa vision de l’humanité : elle n’est pas aussi sombre que d’autres, mais la lumière ne s’y faufile qu’à travers les volets mi-clos de sa délicate et sensible cruauté.

Un recueil à lire, sans l’ombre d’un doute.

20140113 forton1Toutes les nouvelles
de Jean Forton
Éditions Finitude
274 pages, 21 €