Le lien, l’écoute et le soin

Dépressions, addictions, la santé psychologique des sans-abri est autant mise à mal que leur santé physique. C’est pourquoi est né, suite à la loi de lutte contre l’exclusion, le service Psychiatrie Précarité rattaché à l’hôpital de Saint-Egrève. Rencontre avec Marguerite Tounkara, assistante sociale participant à ce service ainsi qu’aux maraudes en lien avec le 115.

Pathologies des sans-logis

Depuis trois ans, Marguerite Tounkara fait partie du service Psychiatrie Précarité en qualité de travailleuse sociale, aux côtés d’infirmières et de psychologues. « L’idée, c’est de pouvoir lier ce qui est la vie citoyenne de la personne et le soin psychiatrique, qui a la spécificité de concerner la personne dans sa globalité. On ne peut pas faire du soin psychiatrique ou psychique de la personne sans prendre en compte sa vie citoyenne. » C’est là tout l’enjeu de la fonction d’assistante sociale au sein de ces équipes.

Ainsi, infirmières et psychologues assurent des permanences au sein d’accueils de jour – tels que le Secours Catholique, l’Accueil Vieux Temple, le Fournil – afin de rendre la psychiatrie accessible à un public qui s’en fait facilement une fausse idée. « On ne force jamais les gens à venir nous voir : le but, c’est d’être présent et d’être dans le lien, que les gens sachent qu’ils peuvent nous interpeller et trouver un accompagnement. » Un accompagnement pouvant aller de la simple discussion à la mise en place par exemple d’une psychothérapie, en fonction des cas qui sont toujours différents les uns des autres.

Si les pathologies les plus lourdes ne sont pas les plus courantes, les personnes qui en souffrent étant généralement hospitalisées, les souffrances psychiques n’en demeurent pas moins extrêmement courantes parmi les sans-abri. Marguerite Tounkara évoque le syndrome d’auto-exclusion, théorisé par le psychiatre Jean Furtos : « Ça peut commencer par de la dépression, qui peut amener ou aggraver l’addiction, puis mener à des idées de persécution, etc. »

L’addiction, principalement à l’alcool mais aussi à des produits de substitution comme le Subutex, est une composante importante des pathologies liées aux conditions de vie dans la rue, une manière aussi de se protéger ou d’affronter la réalité. « Ce que je constate, c’est que les personnes qui vivent dans la rue depuis longtemps et qui n’ont pas d’addiction, qui ne prennent pas d’alcool, pas de produits, pas de médicaments, ce sont elles qui sont folles, vraiment folles, délirantes. Elles vont délirer, ce qui les empêchera de voir la réalité. »

Clémentes maraudes

Des profils parmi d’autres que l’assistante sociale est amenée à rencontrer durant les maraudes de jour auxquelles elle participe dans le cadre des services mobiles, en lien direct avec le 115. « On maraude pour le 115 dans le cadre de l’urgence sociale, mais on a tout de même notre regard psy ! » précise-t-elle. Les lundi matin et vendredi matin, plusieurs équipes constituées d’au moins deux personnes partent de la gare, avec différents moyens de transport selon les effectifs, pour aller à la rencontre des sans-abri. Du café, quelques gâteaux, et surtout le lien, à créer ou recréer.

Une activité autant passionnante qu’épuisante. « On est tout le temps dans la rue mais ici, on y va dans un autre contexte, on ne sait pas qui on va rencontrer, on ne sait pas ce qui va se passer… Ce n’est pas une question de peur : c’est le fait d’aller vers quelque chose sans but qui prend beaucoup d’énergie. » Mais Marguerite Tounkara souligne avant tout l’accueil « chaleureux » du public concerné : « les gens nous remercient tout le temps, juste d’être là, et les gens dans la rue sont très reconnaissants, c’est très valorisant ! »

Depuis trois ans qu’elle participe à cette activité sur Grenoble, la travailleuse sociale a pu constater l’évolution des populations que l’on trouve dans la rue. En plus des sans-abris « sédentarisés » et des populations plus migrantes, les fameux « punks à chiens » libertaires par exemple, que l’on trouvera surtout en été, elle nous explique voir aujourd’hui des familles dans la rue, y compris avec des enfants ou des bébés. Plus d’étrangers aussi, et pas forcément les Roms qui focalisent toutes les attentions – généralement négatives ou caricaturales – de façon parfaitement outrancière, mais des personnes provenant d’Afrique également, issues de la demande d’asile, que l’on peut voir souvent dormir la nuit devant les grilles de la préfecture.

« Je pense aussi qu’il y a plus de femmes, mais les femmes se cachent, on les voit beaucoup moins, nous dit encore Marguerite Tounkara. On met souvent longtemps à repérer les femmes dans la rue, et on met longtemps à les approcher. Elles se défendent. Elles ont peur. »

Le 115 en question

Travaillant en lien direct avec le 115 dans le cadre des maraudes, l’assistante sociale ne manque pas d’exprimer également son sentiment vis-à-vis des difficultés que rencontre cette structure, notamment au niveau local où sa gestion a été retirée au Relais Ozanam pour être confiée à La Relève. « Ça m’a énormément questionnée. Je pense que le Relais Ozanam est une des associations qui reste très militante et indépendante, et que cette indépendance pouvait poser problème à la préfecture dans un moment où l’État ne respecte pas ses missions » nous dit-elle, en spécifiant bien qu’il s’agit de son opinion personnelle, qui n’engage pas celle de l’Hôpital Public pour lequel elle travaille.

D’un point de vue technique, Marguerite Tounkara n’a rien à reprocher à la Relève concernant la gestion du 115, le personnel étant resté le même, animé par le « même humanisme ». Les difficultés du 115 résident bien plus dans le manque de places disponibles que dans des problématiques pures de gestion. « Le 115 ne fait plus de propositions : il n’y a pas de place. Les écoutants du 115 sont dans une souffrance terrible. C’est dur de dire à une famille avec des bébés qu’il n’y a pas de places et qu’il faut rappeler demain. » conclut-elle.

Des difficultés, résultant de choix stratégiques et politiques, qui n’entament ni la motivation, ni l’engagement des travailleurs de terrain, mais pèsent évidemment sur le sens que chacun peut donner à sa mission.