Les candidats et le social : rencontre avec Jérôme Safar

Dans le cadre des élections municipales de Grenoble, Le Bon Plan a sollicité chacun des neuf candidats afin de leur poser une série de mêmes questions consacrées aux problématiques sociales.

Le Bon Plan a rencontré Jérôme Safar, tête de liste « Aimer Grenoble pour vous », candidat socialiste et actuel premier adjoint à la mairie de Grenoble, accompagné d’Olivier Noblecourt, septième sur la liste et actuel quatorzième adjoint à la mairie de Grenoble en charge du CCAS.

Pensez-vous que la représentativité des précaires au sein des institutions municipales est nécessaire et suffisante ? Que peut-on faire, autrement, pour donner plus de place aux précaires au sein des actions citoyennes ?

Nous sommes convaincus que les politiques publiques en général, et l’action sociale en particulier, doivent sortir d’un fonctionnement descendant pour être dans la co-construction avec non seulement les habitants mais aussi avec les usagers des services publics, et notamment des services sociaux. Beaucoup a été fait ces dernières années en la matière : on a créé des instances de parole et on a créé des cadres de concertation et d’élaboration de projets, comme le « Parlons-en » tous les premiers jeudis du mois, à la Maison des Habitants Centre-ville. Nous avons également généralisé les comités des usagers dans toutes les Maisons des Habitants, pour entendre la voix des précaires, des familles monoparentales, des travailleurs pauvres, de ceux qui utilisent les services sociaux.

Pour autant, il reste beaucoup à faire : il y a des évolutions politiques, mais il y a besoin d’évolution dans la façon de faire des services. On a mis en place des formations des salariés sur ce sujet, on a créé des nouveaux profils de postes, des agents de développement qui travaillent avec les habitants, avec les associations, pour penser de nouveaux modes d’intervention sociale dans les quartiers. Le projet que porte notre liste vise à transformer l’ensemble de l’intervention publique par la co-construction avec les habitants et avec les usagers, et cela passe aussi par le principe de territorialisation : travailler avec les habitants à l’échelle de leur quartier, de l’endroit où ils vivent. On ne fait pas de l’action sociale de la même façon selon les quartiers !

Quelles initiatives sont à mettre en place ou à pérenniser en faveur des précaires dans la municipalité? (accès aux crèches, aide au soutien scolaire, etc.)

Nous refusons les politiques de ciblage de publics. On ne raisonne pas en termes d’allocataire de minimum social, en traitant séparément les allocataires du RSA, de l’AAH, les familles monoparentales… On refuse cette logique de cloisonnement. Les dispositifs que nous avons créés ont pour caractéristiques de s’adresser à tous. On peut sérier un grand nombre de sujets. Grenoble est la ville qui a fait le plus en terme d’accès aux enfants en situation de pauvreté dans les crèches. Nous avons développé les lieux d’accueil des parents, en créant des ludothèques. On est dans cette logique d’aider les familles, notamment les plus précaires. Autre élément majeur, en termes de plate-formes d’accès libres, c’est de s’attaquer aux nouvelles formes de pauvreté : plate-forme de précarité énergétique, plate-forme mobilité, plate-forme d’accompagnement budgétaire…

Mais il y a un élément encore plus important dans notre politique sociale : la grande inégalité n’est pas seulement sur les ressources mais aussi sur l’isolement. L’enjeu n’est pas seulement d’apporter une réponse matérielle à un besoin, même si c’est fondamental, mais aussi de permettre aux personnes de nouer des solidarités de proximité. Nous voulons développer la lutte contre l’isolement, pas seulement des personnes âgées, mais pour l’ensemble des personnes fragiles.

Que faire pour pérenniser ou augmenter les capacités d’accueil des plus démunis ? Celui-ci doit-il uniquement passer par des associations, et comment les soutenir et s’assurer de leur bon fonctionnement ?

L’hébergement d’urgence, qui est une responsabilité à cent pour cent de l’État, n’est plus assuré à cause des politiques que la droite a mené, avec par exemple la régionalisation de la demande d’asile qui a trombosé les capacités et fait exploser l’accueil d’urgence. L’agglomération grenobloise concentre les publics et les capacités, et il est insupportable que l’État ne joue pas son rôle de régulateur. Nous considérons que nous devons accompagner l’État, mais que la question politique centrale est celle de la répartition territoriale. Deuxième enjeu : le passage de l’hébergement vers le logement. Pour cela, il y a une réponse : la Métropole. Nous souhaitons que demain elle prenne très fortement la compétence de l’accès au logement. Il faut casser les frontières entre l’hébergement et le logement et organiser tout cela de manière harmonisée. On a commencé à le faire en créant des services. Il faut que, demain, les élus locaux pilotent et soient responsables devant la population sur ces questions-là, ce qui suppose de maintenir l’effort de construction de logement social sur l’agglomération. Et l’on ne peut qu’être inquiet de voir certaines listes sur Grenoble appeler à la pause de la construction de logements. Si on arrête de construire, on aura une ville à deux vitesses, et les victimes de cet arrêt seront d’abord les plus fragiles. Je pense que ce serait une erreur sociale extrêmement grave.

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Comment résoudre les problèmes d’accès au logement social (en particulier le temps d’attente) et celui-ci est-il la seule piste pour lutter contre le mal-logement ? Faut-il entrevoir un partenariat public-privé ?

C’est difficile d’imaginer que la question du logement puisse ne relever que de la sphère publique. La question du logement se règle globalement. Notre projet est extrêmement clair : nous voulons atteindre à l’horizon 2025 l’objectif fixé par la loi ALUR des vingt-cinq pour cent de logements sociaux. On est à plus de vingt-et-un pour cent aujourd’hui, on a fait des efforts salués par tous ces dernières années, et nous voulons maintenir et conforter le cap. Mais on sait bien, les réserves foncières de la ville de Grenoble étant ce qu’elles sont, que l’avenir pour une réponse globale sur la question du logement passe là aussi par la Métropole. Mais il faut agir sur l’ensemble de l’offre. Il faut un logement social accessible, ce qui veut dire augmenter la part de PLAI, ce que nous avons fait. Et puis nous voulons développer l’accession sociale, pas dans une logique comme certains de réduction du parc social, mais dans une logique réelle d’accession à la propriété pour des ménages qui sont dans le parc social et qui peuvent légitimement revendiquer cette accession. Un dernier élément est l’enjeu majeur de la réhabilitation, y-compris dans le parc privé, car les ménages pauvres du parc privé subissent la double peine : ils ont des loyers plus chers et des charges énergétiques plus chères. Il faudra demain que l’on augmente l’effort de réhabilitation, dans le parc public certes mais d’abord dans le parc privé.

Au-delà de la seule question du logement social, le logement sur Grenoble est trop cher, les loyers élevés empêchent les travailleurs les plus modestes à accéder à des logements décents. Que peut faire la mairie ?

Les logements sociaux font l’objet, non seulement d’un tarif réglementé, mais aussi de dérogations liées à la présence d’une ascenseur, au respect de normes thermiques ou autres… Nous avons travaillé ces dernières années à réduire ces majorations possibles pour les bailleurs, et je pense que c’est cette voie-là qu’il faut poursuivre. Il faut que le logement social reste accessible, ce qui suppose du PLAI mais du vrai PLAI, c’est-à-dire non-majoré.

Dans l’enjeu de l’accès au logement social, il y a aussi la question du « bas de quittance », pas seulement le loyer mais le loyer plus les charges, et notamment la question de la précarité énergétique. De ce point de vue là, le volontarisme dont on a fait preuve ces dernières années et qu’il faudra poursuivre est aussi un élément de lutte contre la précarité.

Sur plusieurs quartiers, on a aussi travaillé à ce que le prix à l’accession soit le plus modéré possible. Nous sommes très attentifs à ces questions-là, en terme de parcours résidentiel : il y a le locatif, l’accession pour les plus faibles, et aussi la sortie du locatif de certains ménages qui souhaitent accéder à la propriété mais à des prix qui leur permettent de rester sur Grenoble. C’est tout l’enjeu aussi pour nous de faire en sorte que ceux qui accèdent à la propriété ne le fassent pas forcément en sortant de Grenoble, ou même de l’agglomération.

Si vous étiez élu, quelles seraient vos priorités en matière sociale ? Pouvez-vous établir un « top 3 » de vos priorités dans ce domaine ?

Ce qui m’a marqué dans le travail fait autour des primaires du projet, c’est une demande de lutte contre l’isolement ou le sentiment d’isolement. On a un enjeu dans nos grandes villes aujourd’hui de voir comment favoriser ou renforcer ce qui va permettre aux citoyens d’avoir non seulement les moyens d’agir, mais aussi collectivement. Quelle que soit la classe d’âge, quelle que soit la classe sociale, c’était quelque chose qui remontait partout. On a ici un enjeu de solidarité extrêmement fort.

En matière de logement, je souhaite continuer à travailler avec les Grenoblois sur la nécessité de construire une ville compacte, pour ne pas dire dense, parce que c’est la ville qui permettra demain de maintenir toutes les catégories de population et de classe d’âge sur un même territoire, en évitant l’étalement urbain et les déplacements trop importants qui deviennent insupportables pour les ménages aujourd’hui en termes de charges.

Troisième chose : l’emploi. On ne peut pas construire de politique sociale dynamique ou ambitieuse sans avoir une politique qui favorise la création de richesse, même si ça peut faire mal à certains de l’entendre. Il faut qu’on crée ou qu’on aide à créer l’activité et la création de richesse sur le territoire avant de savoir comment on redistribue celle-ci, et comment l’on fait en sorte que ceux qui sont les plus fragiles puissent aussi bénéficier également de cet élan économique, de cette croissance. À Grenoble on a un enjeu qui n’est pas seulement l’innovation, mais comment l’innovation bénéficie au plus grand nombre !