Dans son numéro 124/125 spécial 20 ans, le Bon Plan a inclus d’anciens textes publiés quelques années auparavant, représentatifs de la ligne éditoriale de notre journal et de son évolution. Nous retrouvons ici un texte de Bernard Biais qui fait partie des textes choisis pour le livre Les voyageurs du minimum, édité en 1999.
Être au chômage : un défi
Être au chômage, c’est me sentir inutile, me rendre compte que la société fonctionne très bien sans moi, être jaloux des gens que je vois travailler.
C’est peu à peu douter de moi, perdre confiance en moi et dans mes capacités professionnelles.
C’est sans cesse repasser dans ma tête le film de mon dernier licenciement, me reprocher d’avoir perdu cet emploi.
C’est relancer au téléphone, le cœur battant, des employeurs qui se défilent par des « On vous tiendra au courant » ou qui m’assènent des « On cherche quelqu’un de stable ». Les pires sont ceux qui ne savent pas dire non.
Être au chômage, c’est être un pauvre qui joue au riche : soigner mon habillement, mais éviter les cinémas et les restaurants.
C’est passer des matinées entières à écrire au contrôleur des impôts ou au propriétaire, à aller les voir pour pleurer des délais de paiement.
C’est mettre ma fierté dans ma poche devant une assistante sociale à qui je viens quémander quelques sous.
C’est attendre des heures à l’ASSEDIC pour débloquer l’allocation qui tarde à venir, parce que bien sûr mon temps ne vaut pas grand-chose.
C’est vivre dans un remords continuel : « Je devrais envoyer plus de CV… »
Et avoir mauvaise conscience dès que je fais autre chose que chercher du travail.
C’est vivre dans l’obsession de trouver un emploi.
C’est passer sans cesse de l’espoir à l’angoisse : « Cette candidature-là va marcher, je le sens. Oui, mais mon compte en banque, comment est-ce que je vais le renflouer aujourd’hui ?»
C’est supporter les discours moralisateurs et les conseils à la noix de ma famille, sentir qu’elle me considère, sans le dire, comme un feignant.
Être au chômage, après avoir surmonté la culpabilité et l’angoisse du manque d’argent, c’est aussi tourner une page, être libéré du gagne-pain du passé, lui dire au revoir, être disponible.
C’est prendre du recul par rapport au travail que j’ai fait jusqu’ici, prendre du temps pour moi, réfléchir.
C’est pouvoir faire tout ce que mes anciens emplois m’empêchaient de faire.
C’est essayer le métier de mes rêves, un métier plus épanouissant, me passionner, trouver ma voie.
C’est aller vers la nouveauté, découvrir.
Être au chômage, c’est trois tests à la fois :
• autonomie – vivre ma vie sans l’employeur-papa-maman ;
• volonté – être mon propre patron, organiser moi-même ma journée ;
• estime de moi – m’assumer, garder la tête haute devant tous, m’aimer encore plus qu’avant.
Être au chômage : un défi.