Bilal, le rêve et la couleur

Un dirigeable nommé « poubelle », un restaurateur anthropophage, des jumelles philosophes et une maison qui vole, le monde selon Bilal est un rêve que lui seul peut faire.

Le fond de l’air

Le « coup de sang », un dérèglement climatique planétaire qui a totalement redéfini les frontières, les continents, l’humanité tout entière, ou du moins ce qu’il en reste. Quelques vies éparses évoluent à présent dans un monde onirique, ou cauchemardesque selon les cas. Et le ciel lui-même est recouvert d’une masse nuageuse qui semble douée d’intelligence. « La planète fait sa mue » et tous les codes sont renversés.

Venant conclure sa trilogie comprenant les albums Animalz et Julia et Roem, La Couleur de l’air est un poème psychédélique, un cheminement complexe au sein d’un imaginaire complet. Récit d’humains faisant face aux modifications du monde ou à leur propres métamorphoses, oublieux de leur passé, soucieux d’un avenir qu’ils ne comprennent plus.

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Le nouveau monde

Les amoureux de Bilal retrouveront dans La Couleur de l’air tout ce qui fait la force du dessinateur : un sens personnel et sublimé de la science-fiction liée à une approche esthétique incomparable. Chaque case se veut une œuvre, et fait sens avec un récit qui articule l’humain et le fantastique dans une ronde hallucinée.

Mais que le lecteur soit averti que Bilal peut – et sait – dérouter. Son approche de la narration, le monde même qu’il décrit et caractérise son œuvre, n’a rien de conventionnel et demande de savoir s’abandonner, d’accepter parfois de ressentir plus que de comprendre, les mots eux-mêmes étant dans l’esprit du dessinateur un jeu esthétisant dont il convient de changer les règles.

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Il en ressort un livre à la fois austère et profond, dont la beauté graphique sert une atmosphère de recommencement du monde quelquefois étouffante, parfois poignante, mais toujours fascinante. On remerciera l’ouvrage de se conclure sur une sérénité perdue où renaissent les couleurs, où la Terre se redessine. La plus belle image de l’album sera sa dernière.

20141230 bilal1La Couleur de l’air
De Enki Bilal
Éditions Casterman
96 pages, 18 €