Chacun pour soi, un toit pour tous ? [Vidéo]

C’est dans une salle du Méliès remplie que l’association Un toit pour tous, partenaire de  la Fondation Abbé Pierre, présentait son rapport sur l’état du mal-logement en Isère pour l’année 2013. Une présentation qui a lieu tous les ans mais qui, à proximité des élections municipales, prenait naturellement une dimension particulière.

Sans toit ni loi

« En période électorale, on est sûr que tout le monde nous écoute. En période de gestion, on sait que c’est plus difficile. Les politiques répondent à ce qu’ils ont l’impression que la société attend. Si la société ne vient pas réclamer du logement ou de la redistribution des richesses, les politiques ne les mettront pas en œuvre ! » nous confiait Marc Uhry, délégué régional de la Fondation Abbé Pierre, avant que ne commence la présentation.

Président de l’Observatoire de l’Hébergement et du Logement, bureau d’étude rattaché à Un toit pour tous qui a réalisé le rapport, René Ballain rappelle en introduction que « malgré les efforts engagés par les politiques au niveau national ou au niveau local, la situation n’est pas bonne ». La dégradation des conditions des ménages couplées à un coût élevé de l’habitat pose évidemment problème.

Si le taux de pauvreté en Isère est relativement faible comparé au niveau national ou même régional, il n’en demeure pas moins préoccupant. Dans le département, ce sont 130.000 personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, avec une forte représentation des familles monoparentales. René Ballain note également, autre source d’inquiétude, que le taux de pauvreté augmente à nouveau, après une période de baisse durant les années 90. En Isère, entre 2008 et 2011, ce sont 13.000 personnes de plus qui se sont retrouvées en situation de pauvreté.20140210 rapporttoitpourtous1

Cependant, cette aggravation de la situation des ménages n’a pas entraîné de flambée des demandes de logement social. Une preuve, noteront les intervenants, que les « amortisseurs sociaux fonctionnent relativement bien », en citant par exemple le cas de l’assurance-chômage. Mais il convient également de voir que les demandes de logement social ne sont pas toujours renouvelées d’une année sur l’autre. « Que deviennent ceux qui disparaissent ? » s’interroge ainsi René Ballain.

L’urgence peut attendre

La question de l’hébergement d’urgence, toujours préoccupante, est également abordée. L’occasion de souligner le « rôle essentiel des associations qui sont souvent invisibles », notamment Point d’Eau, Femmes SDF et le Fournil qui ont mis en place des accueils de jour et sont venues en aide à 1500 personnes différentes durant l’année 2013, malgré toutes les difficultés qu’elles peuvent rencontrer.

René Ballain terminera son propos en soulignant les « autres formes de mal-logement insuffisamment prises en compte » : la question du maintien dans le logement, à mettre en relation avec les impayés et l’augmentation des expulsions, ou encore celle des mauvaises conditions d’habitation telles que le surpeuplement, l’habitat indigne ou encore la précarité énergétique.

Profitant de la tenue de sa présentation dans une salle de cinéma, l’association Un toit pour tous proposera ensuite au public un film d’une quinzaine de minutes dressant un état des lieux du logement des jeunes, et mettant en exergue toutes les difficultés que rencontre cette catégorie de la population pour parvenir à se loger de manière décente et économiquement viable en fonction des budgets, souvent faibles, dont elle dispose.

Rédactrice du rapport de l’Observatoire de l’Hébergement et du Logement, Yolande Encinas insistera après cette projection sur le fait que, bien évidemment, les jeunes ne sont pas les seuls à être touchés par la question du mal-logement. En matière de demande de logement social, on note une « multitude de situations » : jeunes ou vieux, sans emploi ou travailleurs pauvres, ménages ou familles monoparentales, tous sont susceptibles de rencontrer des difficultés d’accès au logement. Insistant sur la complexité des démarches pour l’obtention d’un logement social et sur la longueur des procédures, madame Encinas notera qu’il y a « des choses à simplifier et à changer dans le système d’attribution ».

Marc Uhry rebondira sur l’intervention de Yolande Encinas en notant le paradoxe inhérent à notre société, demandant à chacun une grande mobilité en matière d’emploi tout en mettant en place un système de logement extrêmement rigide. « On est dans des processus de recomposition permanente, tant dans la sphère familiale que professionnelle » et cette « liquidité » de nos conditions de vie s’accorde mal, estime-t-il, avec le caractère figé de l’aide au logement tel qu’elle existe aujourd’hui.

Vive la commune !

Après un débat qui donnera la parole à quelques acteurs institutionnels de la ville ainsi qu’à Pierre Louis Serero, membre du forum RSA de Grenoble, qui protestera avec véhémence de l’absence de représentants de titulaires du RSA au sein des organismes sociaux durant les décisions d’attribution et reprochera au « mammouth » (en l’occurrence, les associations) de ne pas être suffisamment représentatives des précaires, la seconde partie de la présentation se tournera résolument vers les candidats aux élections municipales à venir.

C’est aux « futurs élus » que François Gillet d’Un toit pour tous veut s’adresser en prenant le micro. La première chose à faire, selon lui : « construire ! » La Fondation Abbé Pierre estime qu’il manque en France environ 900.000 logements, un déficit qui se porte beaucoup sur les régions urbaines et qu’il convient de ne pas aggraver. « Les possibilités d’action sont très fortement dans les mains des collectivités locales, des communes et des intercommunalités » insiste François Gillet, en rappelant que ce sont les maires qui signent les permis de construire.

20140210 rapporttoitpourtous2« Face aux revendications fréquentes des riverains et de certains groupes politiques qui contestent les projets de construction sous divers prétextes, un certain nombre de maires refusent de s’engager. Nous demandons aux futurs élus de mettre en œuvre une politique active de construction de logements, notamment en veillant à construire des logements adaptés aux ressources des divers demandeurs », ajoute-t-il.

Si François Gillet note des progrès en matière de construction de logements sociaux, il la considère toujours insuffisante au regard des besoins, tant « au niveau des volumes qu’au niveau des loyers à très faible coût. » Il déplorera également que « la construction sociale soit totalement dépendante de la construction privée », jugeant indispensable que les communes s’impliquent plus activement dans les réalisations.

Élus et à prouver

On ignore si ce message sera entendu, la salle ne comptant visiblement pas de candidats ou de représentants des listes en cours, à l’exception d’Élisa Martin, deuxième tête de liste d’Une ville pour tous, qui prendra la parole durant le second débat concluant la présentation. Un débat au cours duquel pourra également s’exprimer une jeune femme ayant trouvé un logement depuis peu après avoir vécu ce qu’elle décrit comme un « parcours du combattant » pour arriver à trouver où se loger, face à des institutions qui ne parviennent pas à gérer les situations d’urgence.

On comprend que les problématiques, nombreuses et variées, ne trouveront donc pas de réponse avant qu’une vraie réflexion politique et sociale ait été menée, et cela à tous les échelons des hiérarchies et des organismes sociaux. « On a montré que sur beaucoup de sujets, on a besoin de bien connaître pour mieux agir, donc comptez sur nous pour prolonger ces actions qui sont les nôtres d’une meilleure connaissance de la situation », affirme Michel Delafosse, président d’Un toit pour tous.

« On a envie de démontrer qu’il y a des propriétaires privés qui, contre certaines conditions, sont prêts à louer leurs logements à un tarif réduit. On a envie de montrer qu’il y a une possibilité de construction de logement social, qui se ferait dans la satisfaction de tous. Et, dans cette période d’engagements des candidats, nous-mêmes prenons un engagement : celui d’observer à la loupe les décisions qui seront prises, de mesurer l’écart entre les discours et les réalités et, s’agissant de la nécessité de construire, de débusquer tous les discours qui vident les belles promesses ! » conclura-t-il enfin, sous les applaudissements.