Pourfendeur des mauvaises pratiques politiques, président de Mediapart, Edwy Plenel expose dans Dire non ses opinions sans faux-semblant et sans langue de bois, loin du style empesé de nombre de journalistes essayistes.
Une autre France est possible
La France, un Titanic ? C’est sur cette comparaison qu’Edwy Plenel ouvre son essai, estimant que le pays se dirige droit vers l’iceberg sans envisager de changer de direction pour l’éviter. Si l’image n’est pas très neuve ni très originale, elle a le mérite de poser avec clarté le propos du directeur de Mediapart, qui a toujours revendiqué une haute idée du journalisme, faite d’engagement sans partisanisme et d’honnêteté intellectuelle.
Mais ce n’est pas de journalisme qu’Edwy Plenel parle dans son Dire non. Ou pas que. Edwy Plenel parle de la France, de cette France où les idées d’extrême-droite reviennent en force au sein du débat national, y-compris dans les discours de partis qui, jusqu’ici, s’en tenaient résolument éloignées. Plenel fustige la « droitisation » à outrance des discours et de la politique de Nicolas Sarkozy, qu’il retrouve dans la bouche et les actes de Manuel Valls, accusé de renier la parole présidentielle : « Manuel Valls se comporte comme si la France n’avait pas majoritairement voté pour que le changement, ce soit maintenant. »
De cette France qui, dans la tourmente, se tourne vers des boucs émissaires, « des hommes, des femmes et des enfants dont la seule faute est de partager, par leur naissance ou leur alliance, une histoire, une culture, une religion. » Cette France pourtant née du mélange, du métissage, du mouvement, du déplacement, qu’il célèbre et à laquelle il rend hommage, tout en se définissant lui-même comme un « Breton d’outre-mer ».
Montaigne sacré
Pour mieux accompagner son propos, mieux exprimer ses craintes et ses espoirs, ses indignations et ses colères, Plenel convoque le philosophe Montaigne, le poète Édouard Glissant, le résistant Stéphane Hessel, les grandes figures d’une France qu’il préfère, de toute évidence, à celle d’un Valls, d’un Sarkozy, ou même d’un De Gaulle mythifié dont il égratigne non sans raison la figure du grand artisan de la décolonisation. Et l’auteur de mentionner encore, et surtout, son propre père, Alain Plenel, qui lui a, dit-il, « inspiré ce livre, écrit à l’ombre de sa disparition », avant de continuer : « Dans les hasards de nos biographies, chacun trace son chemin comme il peut. Le mien fut animé du souci entêté de relever son nom. »
Edwy Plenel a beaucoup de choses à écrire, beaucoup de choses à dénoncer, et c’est avec une plume pleine de style qu’il livre au lecteur cet essai si proche de Montaigne dans la forme, dans sa faculté à dire énormément en brodant depuis une idée, une seule, qui en amène à chaque paragraphe tant de nouvelles. Un lecteur qui, toutefois, se sentira peut-être un peu perdu face au flux ininterrompu de la prose de Plenel, et certaines de ses réflexions (notamment sur la question du « tragique ») risquent de laisser perplexe, aussi intéressantes puissent-elles être.
Pour autant, le verbe d’Edwy Plenel vaut d’être lu pour la force des convictions qui s’en dégagent, celles d’un homme qui refuse de se cacher derrière son petit doigt pour exprimer ses opinions et ses engagements, et crie sa détestation du reniement en s’adressant directement à François Hollande et en exhumant la mémoire de Théodore Roosevelt pour conclure son ouvrage. Exigeant, intransigeant et sincère, Dire non est n’est pas qu’un énième pamphlet politique de plus, malgré ce que son titre par trop convenu pourrait laisser penser, mais surtout et avant tout le chant indigné d’un véritable humaniste.
Dire non
de Edwy Plenel
Éditions Don Quichotte
190 pages, 14 €