Jeudi de l’Odenore : travailleurs pairs, l’approche des grands exclus

Jeudi 13 février à midi, s’est tenue une nouvelle rencontre du jeudi de l’Odenore (Observatoire des non-recours aux droits et services) au siège de l’association du « Relais Ozanam ». Celle-ci concernait la place des travailleurs pairs dans les équipes sanitaires et sociales venant en aide aux SDF.

Un travailleur qui vient de la rue

Le « travail pair » a commencé en France par l’aide aux personnes dépendantes de drogues et l’aide aux prostituées. Ce salarié a une bonne connaissance de ce terrain car il a vécu une expérience comparable. Son rôle est d’approcher des personnes au profil semblable au sien : il a de ce fait un contact privilégié avec elles. A Grenoble, la structure Totem, une équipe pluridisciplinaire qui aide des grands exclus et leur propose en moins d’un an des logements durables fait appel à des personnes ayant connu la rue.
Le non-recours renvoie à toute personne qui ne bénéficie pas de droits ou de services auxquels elle pourrait prétendre. Le travailleur pair joue un rôle essentiel pour approcher les personnes les plus exclues et leur permettre de bénéficier de droits jusqu’alors inaccessibles.

Sa mission ? Sillonner Grenoble, distribuer des seringues stérilisées, des préservatifs, des couvertures chauffantes ou de la nourriture. Faire régulièrement de la prévention santé, orienter et entreprendre parfois certaines démarches administratives. À Totem, les travailleurs pairs assurent des permanences et peuvent aussi se rendre au domicile de personnes qui viennent de se voir attribuer un logement. Ce professionnel peut aussi être en relation étroite et bienveillante avec des SDF qui ne sont suivis par aucun organisme.

Un intervenant a expliqué durant le débat que le travailleur pair souffre souvent d’un manque de reconnaissance de professionnels du social avec qui il n’est pas en relation. Ce salarié est pourtant apprécié des professionnels avec lesquels il travaille régulièrement. Il connait souvent les mêmes difficultés que le public qu’il suit. C’est le cas de ceux qui suivent un traitement de substitution et viennent en aide à d’autres personnes dépendantes. Certains d’entre-eux regrettent de ne pas disposer de certaines informations sensibles et estiment aussi que leurs informations ne sont pas suffisamment exploitées par les autres professionnels.

Un débat très riche

Pour Catherine Chauveaud, chargée d’études à Odénore et organisatrice des rencontres mensuelles sur le non-recours :  « C’est vraiment un atout principal en raison de la proximité qu’il peut y avoir avec les personnes. Cette connaissance du vécu, du terrain, c’est vraiment un atout fondamental pour la confiance que les personnes cotoyées vont avoir. Cela va permettre un accès plus favorable pour tout ce qui est de l’aide et de l’accompagnement proposé à ces personnes en grande difficulté. ». Jean Vanoye, qui œuvre pour différentes associations contre l’exclusion, commente lui aussi : « Les caractéristiques des travailleurs pairs sont particulièrement importantes : ils touchent les personnes hors-circuits et ont une légitimité pour trouver ces personnes. Ils appportent des solutions qui sont singulières. ».

D’autres participants tirent eux aussi des conclusions qui vont dans le même sens. Maïwenn Abjean, directrice de l’association Femmes SDF commente à son tour : « C’est une piste très intéressante, parce que ça permet d’avoir une approche différente des personnes les plus en difficulté, et permet de toucher des personnes que l’on arrive pas à toucher d’ordinaire. Et du coup ça peut avoir un impact. ». Julien Lévy, sociologue au centre du Relais Ozanam, membre d’Odenore, et doctorant à l’IEP de Grenoble, explique lui aussi : « Le travail pair se propose comme une autre forme de prise de contact avec le public, une autre forme d’intervention, différente, mais qui est très complémentaire avec ce qui peut exister par ailleurs dans le travail social. Cela vient se loger à un endroit où il n’y a pas nécessairement un a contact qui est établi. C’est une possibilité de rentrer en lien parfois plus facilement, ou sur d’autres modalités, avec des personnes qui ne rentreraient pas en lien avec un travailleur social, et de les rapprocher du droit commun, de faire de l’information, de rendre les démarches plus simples. Je trouve que c’est un élément extrêmement important pour remédier au non recours. ».

On comprend avec cela que la réunion du 13 février fut fort intéressante pour tous les participants.  Catherine Chauveaud résume : « C’est une thématique très importante qui a nécessité plein de questions tout à fait intéressantes, dont beaucoup sur le rôle du travailleur pair, et leur intégration dans les équipes qui les accueillent. ». Questions de structures, donc, mais aussi des problématiques qui se révèlent et qui émergent, comme le note Francis Vernede, chargé de mission à la mission régionale d’information sur l’exclusion Rhône-Alpes : « Je retiens de ce qui s’est dit de la difficulté de tenir la posture, la difficulté de la défendre aussi, et l’aspect un peu marginal aussi de ces postures. On a entendu aussi que chacun travaillait un peu dans son coin, et ça vient mettre en éclairage de façon un peu négative le manque de coordination entre les équipes qui font des maraudes. ».  

Julien Lévy, pour sa part, conclut : « Je retiens surtout l’intérêt des personnes présentes. Je travaille beaucoup avec les travailleurs pairs de Totem. On travaille ensemble régulièrement et on essaye de réfléchir à leur situation. L’intérêt c’est de voir comment on arrive à un système le plus efficace possible pour rentrer en contact avec les personnes et le public. C’est cela que je retiens, et je vois ce premier temps comme un premier temps d’échange. C’est important de poser les jalons d’une réflexion, de faire connaître le travail pair au niveau local, faire connaître ce qui se fait, pour que ça essaime, pour que ça morde. ».

Nul doute que le travail pair constitue une médiation décisive pour entamer le fléau du non-recours, et gageons que les efforts des associations parviendront à mettre en place de manière solide et structurée un dispositif qui permettra à tous les exclus de bénéficier des aides auxquelles ils ont droit.