Khomeiny, ou les Infortunes de la vertu

Avec son premier livre, Khomeiny, Sade et moi, Abnousse Shalmani signe un pamphlet libre, qui parcourt en mille pensées son Iran natal et sa France d’adoption, son Islam et son athéisme.

À poil, les barbus !

Tout commence par une révolution en Iran, une dictature qui en déloge une autre, et au Shah succédera l’Ayatollah et son cortège de lois islamistes dont les femmes, comme toujours, seront les premières victimes. Abnousse Shalmani est alors petite fille et vit dans une famille riche, athée et progressiste. Elle ne comprend pas qu’on l’oblige à porter le voile, qu’on décrète son corps d’enfant susceptible d’offenser Dieu ou d’attiser le désir des hommes. Et pour faire rager les « corbeaux » et les « barbus », elle s’amuse à courir nue dans sa cour de récréation.

Parce que la petite fille est franche, passionnée et rebelle, on la considère possédée par le diable. L’Iran n’est plus une terre où elle pourra s’épanouir, la révolution a transformé le pays en une gigantesque prison pour femme, et la famille décide de fuir ce pays devenu étranger. Au prétexte d’aller rendre visite à de famille en France, elle s’installe définitivement à Paris, et l’exil politique devient la nouvelle vie d’Abnousse.

Khomeiny, Sade et moi n’est pas une autobiographie, mais un appel à la révolte. Un appel aux femmes à rejeter la dictature des barbus, que cela soit dans les pays où ceux-ci ont le pouvoir comme dans ceux où il aimeraient tant le prendre, où ils prétendent régner en maître sur leurs cellules familiales ou leurs communautés.

Et dans cet essai, Abnousse Shalmani n’a pas envie de prendre de gants, son propos n’est pas politiquement correct et son passé l’y autorise : « Alors non, les femmes enfoulardées ne sont pas des femmes comme les autres. Elles affichent sur leur corps toutes les heures sombres de l’histoire des femmes. Ce sont des collabos. » écrit-elle, rejetant l’indignité sur celles qui choisissent ici ce que l’on oblige ailleurs. Shalmani préfère les courtisanes de la grande époque, celles qui assument leur féminité, celles qui assument leur corps et savent user de leur pouvoir.

Sade, ou le divin maquis ?

Shalmani préfère aussi les libertins, la littérature sensuelle et libérée des Lumières qui célèbre le sexe dans un rire débridé, moquant toutes les institutions à commencer par le clergé. Et Sade, qu’elle découvre adolescente et pour laquelle elle se prendra de passion, là où tant d’autres y ont vu un auteur cruel et violent, sinon un pervers sexuel faisant l’apologie des pires tortures et des pires humiliations.

Ouvrage dense, quelquefois un peu redondant toutefois, Khomeiny, Sade et moi exprime sa passion à chaque page, une indignation qui n’épargne personne et qui se distingue par la clarté et l’intégrité de son propos. Abnousse Shalmani sait ce qu’elle pense, elle ne s’égare par dans des contradictions de fausse pudeur ni ne se cache derrière des prudences de style. « Nous sommes face à face, les barbus et moi, tant que j’aurais le désir de leur montrer mon cul », contrairement à tant de femmes qui se laissent happer par le voile.

Elle peut irriter, Abnousse Shalmani. On peut lui reprocher parfois de trop mettre en avant le « moi » de son titre, ou de trop régler ses comptes avec ses amis parisiens dont les schémas de pensées ont l’air tellement statiques qu’on se demande pourquoi elle les fréquente encore, mais l’on comprend aussi et surtout le désir de son pamphlet, le besoin d’exprimer – avant d’exister – la passion qui vit en elle. Celle d’une femme athée, d’origine iranienne, qui aime la France et la laïcité. Et refuse de se laisser enfermer dans des carcans ou des clichés, autant que dessous un voile.

Elle dit tout, et c’est une autre forme de nudité. Une autre manière aussi d’inviter chacun à ne plus se commettre dans un respect forcené de choses ou de gens qui ne le mérite pas. « Toutes les révolutions réussissent par un pied de nez au sérieux, au drame, au tragique. Ce que Diderot savait, ce qui amusait Diderot, c’est que rien ne peut faire cesser la marche du progrès. Et pardonnez-moi, mais le progrès, c’est rire de Dieu et surtout de ses légionnaires. »

Khomeiny, Sade et moi
de Abnousse Shalmani
Éditions Grasset
338 pages, 20 €