La Conjuration des inégaux, ou l’oeil de Babeuf

La vie politique en cette année 2014 ne manquera pas de remous et verra probablement nombre d’ouvrages garnir ses rayons spécialisés dans les librairies. Parmi ceux-là, la gauche de la gauche sera représentée entre-autre par l’essai d’Olivier Besancenot, La Conjuration des inégaux.  

Un ouvrage capital ?

Sans doute ont-ils été nombreux à être déçus en 2012, lorsque le NPA présenta Philippe Poutou à la présidence de la République, en lieu et place d’Olivier Besancenot qui avait mené les campagnes présidentielles de 2002 et 2007, non sans talent puisqu’il remporta dans les deux cas un peu plus de 4 % des suffrages, un score plus qu’honorable pour un candidat d’extrême gauche, en marge par définition du système politique institutionnel.

La jeunesse et le visage poupon du personnage autant que son franc-parler et la force de ses convictions en firent un chouchou des Français, qui semblent toujours enclins à la tendresse pour les titis gouailleurs ou les orateurs mal-élevés, pour le meilleur comme pour le pire.

D’abord raillé, Philippe Poutou ne tarda pas lui-même à devenir la coqueluche surprise des médias qui réalisèrent vite qu’aussi timide pouvait-il être en apparence, le nouveau candidat anticapitaliste aux accents d’anarcho-syndicaliste décomplexé n’était pas homme à se laisser démonter. Son score ne rendit pas hommage à son talent (1,15 % des suffrages), mais le Front de Gauche et son siphon Mélenchon étaient passés par là.

Le facteur Besancenot revient aujourd’hui sur le devant de la scène en faisant paraître aux éditions du Cherche-Midi un essai intitulé La Conjuration des inégaux consacré, ainsi que l’indique son sous-titre, à « la lutte des classes au vingt-et-unième siècle ». Le fondateur du NPA prend pour point de départ de sa réflexion un sondage de L’Humanité spécifiant que 64 % des Français pensent que la lutte des classes est toujours une réalité, quand seulement la moitié d’entre-eux considèrent être partie prenante au sein de cette lutte. L’objectif de Besancenot : démontrer que les classes existent toujours et que leur évolution ou leur mutation ne change rien aux fondamentaux marxistes dont il se veut, naturellement, un héritier.

Le riche va loger ailleurs

Premier point, imparable : la richesse du monde est concentrée dans un nombre de mains incroyablement faible au regard de la population. Si la façon dont Besancenot présente les choses rappelle quelque peu les « deux cents familles » d’antan, le propos n’en demeure pas moins parfaitement légitime. Et le militant ne manque pas de souligner l’arrogance de certains des ultra-riches, citant notamment Warren Buffett lorsque celui-ci se réjouit sans se cacher une seconde que les riches soient en train de gagner la « guerre des classes ».

Il ne manquera pas de rappeler non plus, enfonçant pour le coup à grands coups d’épaule des portes ouvertes, que les riches aiment à se retrouver entre-eux, à fréquenter les mêmes palaces, les mêmes stations balnéaires, les mêmes stations de ski, entretenant ainsi cette notion de classe si chère à son cœur, et au leur visiblement. Une classe sociale qui laisse par ailleurs rarement quelqu’un d’extérieur rejoindre ses rangs car, estime l’auteur, « dans un système pyramidal, il n’y a pas assez de place au sommet. »

Deuxième point : le prolétariat existe toujours. Annonçant un « complexe du prolétaire » qu’il n’explicitera que partiellement, Besancenot veut distinguer le prolétaire de l’image du simple ouvrier pour étendre ce mot à l’ensemble des employés, qu’ils soient dans le domaine de l’industrie, de l’agriculture ou des services. Selon la logique marxiste, tous produisent une richesse dont ils sont ensuite spoliés, donc tous sont des prolétaires, susceptibles d’alimenter une lutte des classes que Besancenot juge par nature nécessaire.

Si l’ouvrage vaut par l’engagement qu’il présente, par l’énergie de son auteur qui retrouve ici totalement son rôle de militant et peine à dissimuler ses colères ou ses indignations, il risque de laisser sur leur faim ceux qui attendent une réflexion aboutissant à une thèse. Comme souvent avec les essais politiques, il est ici question de parler à ceux qui ont envie de nous entendre, de prêcher les convertis. Aussi passionnante puisse-t-elle être, la doctrine marxiste dont la lecture est ici littérale risque de lasser l’idéologue d’aujourd’hui, quand bien même l’ouvrage tente d’y injecter quelques bonnes intentions écologistes. Et la volonté de son auteur de mélanger des mouvements sociaux qui n’ont souvent que peu de rapports entre-eux (révolutions arabes, émeutes grecques, occupation de Wall Street) dérange quelquefois.

Marx 2.0

Besancenot raille, dénonce, critique, et il est dans son rôle, mais Besancenot propose peu. Sauf dans les toutes dernières pages de son essai, il est avant tout question d’appeler à la lutte sans préciser exactement pour quel objectif, pour quelle politique, pour quel achèvement, pour quels lendemains qui chantent. En s’attelant à moderniser le marxisme, de manière quelque peu naïve lorsqu’il est question de « révolte en 3D » ou de « mouvement ouvrier en HD », il semble oublier d’en rappeler les finalités.

En-dehors de ses métaphores audacieuses sinon maladroites (on se demandera par exemple pourquoi un « requin de la finance » ne pourrait pas être végétarien), c’est dans un style clair et volontairement accessible que Besancenot s’adresse à son lecteur, loin des sommes marxistes-léninistes qui accompagnèrent les longues heures au coin du feu des révolutionnaires des années soixante ou soixante-dix, et accompagnent probablement celles de Besancenot si l’on en juge par les sources qu’il cite.

À l’orée des campagnes pour les élections municipales et européennes, et tandis que François Hollande annonce un virage dans sa politique économique qui fait grincer bien des dents dans son propre camp, la lecture de cet essai s’impose pour qui veut comprendre la logique militante de la gauche de la gauche et approcher les éléments sur lesquels s’articulent sa philosophie. Plus pamphlet qu’essai, La Conjuration des inégaux agace parfois mais se lit d’une traite sans déplaisir ni désintérêt.

20140116 conjurationinegaux2La Conjuration des inégaux — La lutte des classes au XXIème siècle
D’Olivier Besancenot
Cherche-Midi
154 pages, 13 €