La Relève au bout du fil

Plus de 115 pour la Relève, et de nombreuses questions sur la façon même dont l’association aura géré le service, sur son fonctionnement général ou sur son lien avec le milieu associatif.

Le 115 SDF

Sans domicile fixe, le 115 ? Il aura en tout cas changé trois fois de gestionnaire et de locaux en moins d’un an et demi. En octobre 2013, suite à un appel d’offre lancé par la Préfecture, l’association la Relève a pris les rênes du service téléphonique d’hébergement d’urgence. Au grand dam du Relais Ozanam qui assurait cette fonction depuis de nombreuses années, et s’interrogea sur ce retrait de compétence.

L’affaire n’était pas passée inaperçue dans le monde associatif et avait suscité de nombreux commentaires sur la Relève. Quand certains se désolaient que l’association choisisse la voie de la concurrence plutôt que de la concertation, d’autres ne se privaient pas d’évoquer un appel à projet « bidonné » et mettaient en avant ses liens étroits avec les services préfectoraux.

Il est vrai que La Relève, qui se revendique « légaliste », privilégie la gestion de ses prérogatives à la revendication ou l’interpellation : « La Relève n’est pas une association militante en tant que telle », précise ainsi son tout nouveau directeur – et ancien président – Stephan Peysson.

Nouvel acte début 2015, où l’on apprend que le 115 quitte La Relève pour passer sous la direction d’un SIAO (Service Intégré d’Accueil et d’Orientation), co-porté par deux structures : l’Observatoire du logement et de l’hébergement, cellule d’observation d’Un toit pour tous, et… le Relais Ozanam.

ALUR on danse

Les raisons de ce transfert ? Stephan Peysson se veut factuel : « c’est une décision de l’État, une mise en adéquation du 115 dans le cadre de la loi ALUR, qui donne un statut juridique au 115 et au SIAO. »

Une version que contestent les personnes salariées du 115 que nous avons rencontrées : « non seulement la Relève n’arrivait pas à gérer le service, mais elle estimait que NOUS étions ingérables. C’est la Relève qui a demandé à la DDCS (Direction Départementale de la Cohésion Sociale, NDLR) de les débarrasser de nous. »

Et ces personnes de dresser un portrait de l’association qui n’a rien d’avantageux, décrivant par exemple des conditions d’installation des services du 115 chaotiques : « Personne pour nous accueillir, un téléphone qui sonne par terre, un PC non relié, pas de bureaux, pas de stylos, pas de feuilles, et trois nouvelles collègues qui arrivent pour être formées… »

La gestion même du 115 est sujette à beaucoup d’amertume : « À certains moments, le 115 a connu des périodes d’interruption de quarante-huit heures, mais ce n’est pas grave. On n’appelle pas les services de maintenance, et l’on ne s’inquiète de rien. » La personnalité de l’ancien directeur de la Relève est à ce titre très largement critiquée. Mais elle n’est pas la seule.

Anciens et modernes

Licencié en 2014, Alain Bila n’est plus directeur de la Relève. Les raisons de ce licenciement n’ont cependant jamais été spécifiées clairement, la direction de l’association évoquant une « faute » sans rentrer dans le moindre détail, y compris vis-à-vis des services de l’État.

Stephan Peysson se refuse à en dire plus, l’ancien directeur ayant porté son licenciement devant les Prud’hommes : « dans le cadre du respect des procédures, de la personne et de l’association, on ne peut pas communiquer sur ce genre de choses. » La décision des Prud’hommes devrait être connue début juillet, mais l’actuel directeur fait d’ores et déjà savoir qu’il refusera de la commenter.

« Sur les dysfonctionnements que nous avons rencontrés, la politique de la nouvelle direction est de tout mettre sur le dos de l’ancienne », estime une ancienne salariée qui précise cependant que la président, devenu directeur, ne pouvait pas ne pas savoir. « On a fait partir des courriers avec accusés de réception adressés au président. Il était bien au courant ! »

Et cette même salariée, relayée par ses collègues, de dénoncer une « gestion par la terreur », tant de la part du directeur que du président, évoquant des salariés en souffrance et une absence de prise en compte de leur parole. « Face aux critiques, pourtant bien formulées, ils répondent par le mépris et surjouent l’indignation. »

Mise en rapport

Suite à une inspection réalisée au mois d’octobre 2014, la DDCS a présenté un rapport d’une soixantaine de pages consacré à la Relève dont certaines conclusions iraient directement dans le sens de ces témoignages, en particulier concernant le mal-être des salariés et le climat social au sein de l’association.

Le rapport mettrait également en relief des manquements graves concernant l’état des logements proposés par la Relève au public concerné, constatant un déficit d’entretien et un mauvais état général des appartements visités par la mission d’inspection. Autant de données négatives à laquelle la Relève va opposer un rapport contradictoire, ainsi que le prévoit la procédure. À ce jour, aucun des documents n’a encore été rendu public.

115 et sans reproche

Une chose reste certaine : une partie des salariés du 115 affiche un réel soulagement à l’idée de quitter la Relève, tout en estimant que cette année passée sous le giron de l’association va « laisser des traces ». Elle évoque notamment un baisse notable de la qualité du service proposé en fonction des écoutants, favorisée par des recrutements faits à la-vite ou des retards sur le versement des payes.

« En leur payant mal leurs salaires, certains collègues ont été poussés dans la précarité. C’est difficile d’être dans l’écoute avec les usagers lorsque l’on n’est pas sûr soi-même d’avoir de quoi se payer à manger à la fin du mois… Ils n’étaient déjà pas bons au départ, mal recrutés, on ne leur a pas expliqué le poste, ils se sont retrouvés dans de mauvaises conditions d’accueil, et sont devenus des mauvais écoutants. »

Et ces témoignages de conclure sur le constat que l’image du 115 a pâti de ces dysfonctionnements, tant du point de vue des usagers que celui des autres associations, dont certaines ont refusé tout contact avec le service pour ne pas avoir à « s’afficher » en compagnie de la Relève.

Francis Silvente, directeur du Relais Ozanam, relativise ce point de vue : « nous avons rencontré à plusieurs reprises les écoutants du 115. Pour une équipe qui fait un travail extrêmement compliqué, puisqu’il s’agit de dire non dans 95 % des cas à des publics qui sont en difficulté sociale, j’ai trouvé qu’elle restait motivée et fait preuve d’énergie positive. Il y a des propositions, de la co-construction, aussi frustrant et en demande de sens puisse être leur travail. »

Vivement la Relève ?

Stephan Peysson, de son côté, veut prendre la défense de son association : « Beaucoup de choses ont été dites sur la Relève, des critiques systématiques très dures qui ont blessé beaucoup de monde en interne. On n’a jamais eu de retour sur le travail fait. Par respect pour les collaborateurs de la Relève, je pense que les critiques sont un peu fatigantes. »

« Qu’il y ait eu peu de contacts dans le milieu associatif, c’est une réalité que je constate, concède-t-il. La nouvelle gouvernance souhaite que les liens avec le milieu associatif soient un peu plus cordiaux qu’ils ne l’étaient avant. » Une nouvelle gouvernance qui, rappelons-le, s’incarne dans un directeur anciennement président, et une présidente – Marine Borne – anciennement vice-présidente.

« On a beaucoup de respect pour les gens avec qui on travaille et pour nos partenaires, je pense que ce n’est pas totalement vrai dans le sens inverse. Qu’on arrête de nous tirer dessus à boulets rouges et qu’on se mette à travailler ensemble ! On n’est pas là pour se tirer dans les pattes et l’on doit être respectueux les uns des autres, travailler franchement dans la clarté et la transparence. » conclut Stephan Peysson.

Ensemble tout est possible

Un appel à la collaboration que Francis Silvente ne peut que saluer : « Si je consacre beaucoup de mon temps à être président régional de la FNARS, c’est que je crois en la coopération entre les associations. C’est la seule manière d’éviter les phénomènes de concurrence inter-associatives, et les phénomènes de tête à tête avec les institutions qui, à terme, ne permettent pas aux associations de développer leur rôle interpellatif et leur volet de co-construction. »

Entre crainte et colère des salariés, méfiance généralisée, rancoeurs rentrées, bruits de couloir et procédures administratives, l’ambiance ne semble décidément pas au beau fixe. Reste à espérer que la situation va s’éclaircir avant l’installation d’un climat proprement délétère dont les publics en grande précarité seraient, comme souvent, les premiers à souffrir.