Le procès de la francisque

1945. Libérée, la France procède à son épuration : les années noires de l’Occupation sont terminées et il est temps de solder les comptes. Le plus symbolique de tous est celui du dirigeant d’alors, celui qui était aux commandes en ces temps de honte : le maréchal Pétain.

Juger Pétain est à l’origine un film documentaire en quatre volets de Philippe Saada qui retrace, en s’appuyant sur les archives d’époque, le procès du maréchal Pétain. Cette BD éponyme en est l’adaptation directe, assurée par le cinéaste lui-même en association avec le dessinateur Sébastien Vassant.
Loin de se cantonner à une simple transcription, ils ont su exploiter les possibilités propres à ce deuxième support : « Le dessin permet d’aller partout où la caméra ne va pas […]. », dit Saada. De plus, le format bande dessinée permet des apartés, tant humoristiques (comme les saynètes A cup of tea with Churchill, qui mettent en scène Winston Churchill commentant le cours des événements) qu’informatifs (brèves biographies de certains personnages, par exemple).

Juger un symbole

Quand il est question de Pétain, son grade de maréchal vient spontanément à l’esprit et ce n’est pas un hasard : cette appellation constitue moins un rang militaire qu’une marque de statut, de prestige, décernée par la France pour services rendus (sur les quatre maréchaux de France de la seconde moitié du XXe siècle, trois le furent d’ailleurs à titre posthume).

Cette dignité particulière explique à la fois l’accession de Pétain au pouvoir en 1940, appelé comme homme providentiel et le déchaînement d’une partie de l’opinion publique contre lui en 1945 ; Pétain n’est pas un « simple citoyen » mais une personnalité publique et à ce titre, son image dépasse de loin sa personne pour inclure sa légende, les espoirs placés en lui… et la déception, le ressentiment suscités par sa politique.

Juger… ou exorciser ?

Pétain devient ainsi, en cet été 1945, l’incarnation de la période honnie qui vient de s’achever, de ces quatre années où la France n’a pas seulement été occupée par l’Allemagne nazie mais a collaboré avec elle ; cette honte doit être effacée pour que la nation puisse aller de l’avant.

Le procès est donc une catharsis et vise moins à juger de la responsabilité personnelle de Pétain dans la collaboration qu’à en finir avec celle-ci en la tirant au grand jour. Il n’a jamais été vraiment question que l’accusé puisse être acquitté, comme en témoigne la composition du jury : au lieu de tirer au sort les jurés, comme il est de coutume en France, ce sont douze parlementaires choisis parmi ceux qui n’avaient pas voté les pleins pouvoirs au maréchal en 1940 et douze anciens Résistants qui ont été appelés… « Un jury partial […] qui s’assume comme tel. », commente Saada dans la BD.

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Soixante-dix ans après les faits, nous sommes dégagés du besoin qu’avaient nos aînés de crever l’abcès ; les historiens ont fait leur travail et nous connaissons la vérité sur ce que fut la collaboration. En faisant revivre les débats, cet album couleur sépia permet aux lecteurs du XXIe siècle d’à leur tour juger Pétain…

20151120 pétaincJuger Pétain
P. Saada & S. Vassant
Éditions Glénat
136 pages / 19, 50 €