Les intermittents, un régime à abattre ?

Ils seraient les principaux responsables du déficit de l’UNEDIC selon le MEDEF, ce que démentent notamment la ministre de la culture Aurélie Filippetti, le sociologue Mathieu Grégoire ou plus étonnant la cour des comptes dans son rapport du 26 novembre 2013. Comment démêler le vrai du faux ?

Le régime des intermittents du spectacle est une spécificité Française qui s’inscrit dans une politique globale de soutien à la culture. Réglementé dès 1936 pour encadrer les besoins de main d’œuvre intermittente spécifiques à l’industrie du cinéma, le travail intermittent du spectacle a depuis été constamment reformé. Les ajustements récents ont eu pour objectif de réduire le nombre croissant de personnes susceptibles de bénéficier du régime et de diminuer les possibilités d’abus.

Qu’est-ce qu’un « intermittent du spectacle » ?

C’est un travailleur précaire du spectacle, artiste, ouvrier ou technicien, qui alterne des périodes travaillées et des périodes chômées. « Intermittent du spectacle » n’est ni un statut ni un métier mais un régime spécifique de l’assurance chômage. L’intermittent est employé sous contrat de courte durée (parfois une seule journée) par des entreprises spécifiques dans l’industrie du cinéma, de la musique, de la radio, de la télévision, du théâtre, ou dans le spectacle vivant entre autres. Contrairement à un salarié, certaines de ses activités professionnelles comme sa formation ou la préparation d’un spectacle sont rarement rémunérées. Du fait de la précarité de son métier, il bénéficie d’un régime d’assurance chômage plus avantageux mais plus contraignant :

20140227 tableau intermittent

Intermittent du spectacle, un Eldorado ?

Le calcul d’indemnisation particulièrement complexe des intermittents du spectacle est financièrement plus avantageux que celui du régime général, mais il exclut beaucoup de travailleurs. Sur plus de 250 000 intermittents du spectacle recensés, environ 100 000 sont indemnisés. Les 150 000 autres n’ont pas assez travaillé pour pouvoir prétendre à une quelconque indemnisation. Pour une large majorité des intermittents, la course au cachet (contrat) est une préoccupation quotidienne et tomber malade peut s’avérer dramatique (leurs droits en cas de maladie sont soumis à des contraintes encore plus grandes). Ils doivent chercher du travail, se créer un réseau, diversifier leurs compétences à leurs frais, à l’instar d’un artisan par exemple. Ils cotisent plus qu’un salarié lorsqu’ils travaillent, mais bénéficient de points de retraite même pendant les périodes chômées. Entre intermittents  subsiste de grandes disparités, les techniciens étant nettement mieux lotis que les artistes.

Des Abus ? Lesquels ?

Les plus connus et notamment mis en évidence par un rapport de l’Assemblée Nationale proviennent de structures telles que les télévisions, les théâtres ou les radios. Gros consommateurs de personnel du spectacle, au lieu d’embaucher du personnel en CDI, une partie parfois importante de leur effectif quasi permanent est composée de travailleurs précaires du spectacle. Une situation anormale dénoncée depuis bien longtemps et qui est censée être de plus en plus contrôlée : « En maintenant des artistes dans le statut d’intermittents au lieu de les recruter en bonne et due forme, elles utilisent l’assurance chômage pour préserver leurs marges de rentabilité », dénonce Eric Verhaeghe, ancien président de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec), dans une tribune au Figaro. A cela s’ajoute une minorité d’intermittents qui gagnent très bien leur vie, perçoivent en sus des droits d’auteur importants qui n’entrent pas dans le calcul des indemnités versées par l’UNEDIC (les droits d’auteur n’étant pas des revenus), mais profitent tout de même du régime en percevant une indemnité maximale (pouvant dépasser les 6000€). Enfin, les intermittents ont leurs « petites combines » pour boucler leur dossier d’admission : déclaration de cachets virtuels (qu’ils se paient eux-mêmes), cachets fictifs entre amis déclarés via le GUSO, travail non déclaré permettant de s’acheter des cachets fictifs via une structure de portage salarial, etc….

Des solutions ?

En réalité, c’est tout le système d’indemnisation Français qui est régulièrement pointé du doigt par la cour des comptes. Le déficit grandissant de l’UNEDIC n’est pas dû spécifiquement au régime des intermittents mais a un calcul qui se révèle globalement inégalitaire et particulièrement avantageux pour les plus gros salaires. La caisse des congés spectacles, organisme spécifique qui gère et rémunère avantageusement les vacances des intermittents du spectacle, est accusée de nombreux dysfonctionnements. Les sociétés de gestion des droits d’auteur sont l’objet de dérives souvent mises en évidence par la cour des comptes : la collecte et la répartition des droits seraient très inégalitaire et leur modalités relativement opaques. Les redevances de droits d’auteur perçues par certains artistes ne devraient-elles pas être comptabilisées par l’assurance chômage ? Des solutions pour rendre le régime plus égalitaire, c’est-à-dire favoriser les plus précaires, sont régulièrement proposées. Mais toucher aux privilèges des intermittents, c’est attaquer le système de financement de la culture Français et cela s’avère aussi compliqué que de toucher au fonctionnariat.