Les plus grands films que vous ne verrez jamais

Les éditions Dunod propose la traduction française d’une étonnante encyclopédie consacrée aux films qui n’ont jamais existé, ou n’ont jamais été vus. Un voyage plein de surprises au sein de la galaxie Hollywood, entre frilosité des producteurs et folie douce (ou dure) des créateurs.

Pellicules au placard

Saviez-vous que Charlie Chaplin rêvait de jouer Napoléon ? Que Salvador Dali écrivit un film surréaliste à l’intention des Marx Brothers ? Que Russ Meyer a failli collaborer avec les Sex Pistols, que E.T. est adapté d’un scénario de film d’horreur ou que Sergio Leone voulait réaliser un Leningrad ? Nous ne le savions pas non plus. Et ce ne sont que quelques échantillons des surprises que réservent Les Plus grand films que vous ne verrez jamais.

Certains films demeurés à l’état de projet ou totalement inédits de diffusion sont considérés comme cultes, exerçant une fascination sur les cinéphiles du monde entier. L’Enfer de Clouzot, le Don Quichotte d’Orson Welles, Le Jour où le clown pleura avec Jerry Lewis ou le Napoléon de Kubrick en font partie et sont naturellement mentionnés dans cet ouvrage. Cependant, les auteurs prennent également soin de s’attarder sur d’autres titres bien moins célèbres, voire rigoureusement inconnus.

Le lecteur découvrira ainsi le projet A Princess of Mars, qui aurait pu être le premier long-métrage d’animation de l’histoire du 10131219 films2cinéma, mais que MGM préféra abandonner, jugeant qu’il ne conviendrait ni aux enfants, ni aux adultes. Ou encore Moon over Miami, un film sur le scandale politique de l’Abscam qui devait compter au générique le duo Belushi-Aykroyd (les fameux Blues Brothers) et pour réalisateur Louis Malle, mais qui ne verra jamais le jour suite au décès par overdose de John Belushi. Quant à cet intriguant Batman : Year One, imaginé par Darren Aronofsky (Requiem For a Dream), il sera sabordé par les studios qui n’apprécieront pas l’idée d’un Batman aussi sombre, jugé trop peu commercial, et auquel sera préféré plus tard le flamboyant Batman Begins, plus accessible pour le grand public.

Égoplanètes

Ce livre est l’occasion de voir combien les projets inaboutis sont monnaie courante au sein de l’industrie du cinéma, et cela précisément parce qu’il s’agit d’une industrie et que les producteurs se soucient fort peu des ambitions artistiques des réalisateurs ou des scénaristes. On ne saurait d’ailleurs leur donner toujours tort. Alejandro Jodorowsky a beau être un génie, son Dune halluciné,  censé durer pas moins de quatorze heures, apparaît surtout comme un gouffre financier. Et face à la tournure que prend le tournage de L’Enfer de Clouzot, œuvre expérimentale qui torture son réalisateur au point qu’il en fera une crise cardiaque, on ne peut en vouloir à la Columbia d’avoir préféré arrêter les frais avant que le film ne la mène à la faillite…

Incidemment, l’ouvrage apparaît presque comme une anthologie des personnalités les plus fortes de l’histoire du cinéma. Le génie allant souvent de pair avec la folie des grandeurs, voire la mégalomanie, on ne s’étonnera pas de découvrir au fil des pages de ce recueil de films avortés des noms aussi illustres que Dreyer, Clouzot, Fellini, Kubrick, Hitchcock ou Lynch, pour n’en citer que quelques-uns. Autant de grands créateurs qui se sont heurtés aux exigences financières de leur art, mais qui quelquefois perdaient pied à l’intérieur de leurs propres ambitions.

10131219 films1Dans les coulisses des salles obscures

Il ne faudrait cependant prendre ce livre pour un simple bêtisier de l’histoire du cinéma. Si certains projets font sourire, si certaines anecdotes sont hilarantes, nous sommes aussi en présence d’un document précieux qui, en recensant ainsi tant d’échecs, met en valeur le caractère souvent absurde du système hollywoodien, la frilosité voire la cécité des producteurs exécutifs, les guerres entre scénaristes ou les tensions quelquefois terribles entre réalisateurs et acteurs.

Parmi tous ces films, beaucoup n’étaient pas que des projets insanes, et l’on aurait aimé voir La Tempête de Shakespeare adaptée par Michael Powell, cet étrange Kaleidoscope d’Alfred Hitchcock ou encore ce projet avorté de Sam Peckinpah baptisé The Texans. Le cinéphile amateur ou éclairé ne pourra pas refermer cet ouvrage sans éprouver une pointe de frustration, et un vrai sentiment de regret.

Rédigé dans un style clair, servi par de très belles illustrations et fort bien documenté, Les Plus grands films que vous ne verrez jamais est donc un ouvrage à recommander à tous les amoureux du cinéma comme aux curieux occasionnels. Impossible à ouvrir sans avoir l’oeil qui accroche et très difficile à refermer ensuite, cette galerie des impossibles constitue un extravagant voyage au sein de l’intimité d’un art qui emplit nos vies et dont on réalise savoir très peu.

10131219 films3Les Plus grands films que vous ne verrez jamais
de Simon Braund
Traductions de Jean-Louis Clauzier, Laurence Coutrot et Emmanuel Dayan
Éditions Dunod
260 pages, 24,90 €