Little miss Be-Bop

Quand la fille d’un pianiste de jazz légendaire raconte son enfance “animée”, cela donne un surprenant mélange grave et léger. D’une vie compliquée, elle fait une suite d’histoires qui ne cèdent jamais au pathos.

Hormis quelques aficionados de jazz, personne ne se souvient de Joe Albany mort en 1988 à l’âge de 63 ans. Voici le livre,(bientôt le film puisque une adaptation cinématographique de Low Down est sortie aux États-Unis en 2014), qui va ressusciter cet artiste fragile, qui a accompagné des légendes du jazz telles que Charlie Parker, Lester Young, Georgie Auld. Un des premiers boppers promis à une carrière exceptionnelle mais ramené la plupart du temps aux concerts minables dans d’obscurs night-clubs. La faute à qui ? Non pas à un concurrent jaloux et déloyal ou un producteur véreux, mais à une dépendance à la drogue tout au long de sa vie. Les passages en prison et les cures de désintoxication s’enchaîneront , l’empêchant de mener la carrière à laquelle il aurait pu prétendre.

Plus dure sera la chute

Came, autodestruction, mise en abîme du rêve américain sur fond de jazz et de lieux interlopes (comme on dit dans les polars des années cinquante) : tous les ingrédients sont là pour donner un biopic larmoyant sur la rédemption d’un génie méconnu. Mais Low Down, à l’image de ce style musical jazz be-bop fait d’’improvisation et d’enchaînements de rythmes presque dissonants, ne s’arrête pas à des clichés ou des scénarios déjà vus.

L’auteure est Amy Joe Albany, la propre fille du musicien, qui depuis son plus jeune âge, en l’absence d’une mère également très fragile, accompagna son père avec un amour et une admiration jamais démentis. Celle que les musiciens amis de son père avaient surnommée “la princesse Be-Bop” nous livre un portrait émouvant, en nous racontant ce qu’elle a vécu entre 5 et 14 ans : le résultat est étonnamment léger, alternant les moments les plus durs et des anecdotes drôles. C’est là l’originalité de ce livre : Amy Joe Albany, peu épargnée par la vie, prend soin de nous restituer ce vécu sans nous l’imposer. Son livre se découpe en petites séquences, presque autant de nouvelles, qui rythment le récit d’une vie qui ne veut pas s’abandonner à la plainte.

https://www.youtube.com/watch?v=2phR6yTKc9Q

Résilience

Qu’importent les départs imprévisibles, les bas-fonds, les promesses non tenues, les rechutes, Amy Joe conservera intacte l’admiration et l’amour qu’elle voue à son père. Elle ne lui reprochera jamais aucune de ses fragilités… C’est seulement le témoignage d’un manque de confiance à son égard – une maladresse comme aveu de faiblesse- qui provoquera sa déception. Elle fait partie de ces enfants qui parviennent à surmonter les épreuves qui leurs sont imposées et à en tirer une incroyable force pour se construire.

Elle parvient à nous émouvoir, nous faire rire, nous terrifier même… Elle maîtrise son écriture, ses effets et nous offre le rendu d’une époque passée, où se croisent légendes du jazz et losers magnifiques. Elle nous restitue le visage d’un père, le talent d’un homme qui méritait mieux que sa vie.

20151210 lowdown2Low Down : jazz, came, et autres contes de la princesse Be-Bop
de Amy Joe Albany
Éditions Le Nouvel Attila
192 pages, 19 €