Logobook — Ludovic Houplain

Dans le sillage du court-métrage d’animation Logorama, les éditions Taschen propose Logobook, recueil de plusieurs milliers de logos, toutes marques et époques confondues. Un ouvrage qui surprend au premier abord mais s’avère vite fascinant.

Logorythme

Comment échapper aux logos ? Ceux-ci sont partout, sur chaque objet ou presque de nos vies quotidiennes, sur les murs de nos villes, dans les pages de nos magazines, sur nos sites internet préférés. Il s’en trouve une bonne dizaine sur la page que vous êtes en train de lire, sans même compter les illustrations de cet article. Vous ne les aviez pas remarqué ? Rien de surprenant : l’omniprésence du logo leur assure une paradoxale invisibilité. Ils parlent à nos cerveaux avant de s’adresser à nos yeux.

La question du logo est loin d’être anecdotique. Logobook propose ainsi une réflexion, exigeante, du philosophe et sociologue Gilles Lipovetsky qui rappelle toutes les critiques et toutes les inquiétudes que suscite le principe de la marque commerciale et du logo, désamorçant certaines pour en mettre d’autres en exergue, et soulignant que le logo est devenu l’icône de notre monde contemporain. « L’ère du fétichisme de la marchandise dénoncé par Marx est devenue l’ère du branding, du fétichisme des logos. »

Cette multiplicité des logos, le court-métrage d’animation Logorama, qui fut salué par un Oscar, choisit d’en jouer en l’abordant sous un angle très pop-art. Ce dessin animé d’une quinzaine de minutes se déroule dans un monde entièrement constitué de logos, qu’il s’agisse des véhicules, des bâtiments ou de ses habitants. Dans ce film où Ronald McDonald, délinquant psychopathe, est poursuivi par des policiers personnalisés dans la peau de Bibendum Michelin, le logo est totalement coupé de son sens initial, cesse de servir la marque qu’il représente pour devenir matériel de création d’un monde esthétisé. Un monde si différent du notre ?

Logologie

Co-réalisateur de Logorama, Ludovic Houplain est à l’origine de l’ouvrage Logobook, dans lequel il signe un texte passionnant sur la naissance de son court-métrage et l’ambition que celui-ci sous-tendait, ainsi que tous les aspects techniques qu’il allait devoir aborder durant la construction de ce projet ambitieux.

Extension presque naturelle de Logorama, Logobook n’aurait pu exister sans les archives de Ludovic Houplain et les 40.000 symboles et marques qu’il collecta durant une année entière. Ce sont au final 6000 logos que les éditions Taschen ont conservé pour dresser cet impressionnant catalogue.

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Ce sont près de 700 pages de logo que l’éditeur propose, classés par ordre alphabétique, toutes marques confondues, des plus connues aux plus obscures. Une façon de réaliser que tout est marque ou que tout est logo, quand le sigle Bata voisine avec la célèbre chauve-souris noire sur fond jaune de Batman, ou quand le sigle des Ghostbusters s’affiche parmi d’autres sans même dépareiller.

Au hasard des pages, on aperçoit le poing à la rose du Parti Socialiste, la silhouette noire dans le collimateur des Public Enemy, le nom des Beatles dans ses majuscules classieuses auxquelles répond la langue rouge des Rolling Stones, ou encore le sigle Jurassic Park d’une imparable efficacité. Et des marques, encore et toujours, à n’en plus finir, jusqu’à ce que s’efface le produit au profit de l’esthétique pure de son logo.

Logographie

Monde de lettres entrelacées (Kleenex, New Era), de polices inventives (HBO, JELL-O), d’humour savoureux (Johnny Cupcake Inc) ou de classicisme trompeur (Fendi, Lehman Brothers), le néophyte ouvre Logobook avec une certaine appréhension qui ne tarde pas à se transformer en passion, fasciné par cette galerie de dessins et de textes qui prennent des allures de bestiaire insensé (le logo use et abuse de l’animal) ou d’inventaire surréaliste.

Quant aux professionnels, infographistes en tête, ils trouveront dans cet ouvrage un outil de travail précieux, voire irremplaçable. Une plongée dans la créativité de milliers de designers de par le monde, toutes époques confondues. De quoi exciter l’imagination et accompagner par l’exemple la recherche de son propre logo, en s’inspirant des écarts, des folies ou même des prudences de ses prédécesseurs.

Objet pop-art presque malgré lui, magnifique concentré de notre monde contemporain, volume sérieux et érudit, Logobook est un ouvrage qui ravira autant les passionnés d’esthétisme ou de l’histoire de la publicité que le professionnel dans les domaines du design, de l’infographie ou de la communication. Qu’il soit abordé avec ironie ou dévotion, voici un livre dont on ne peut se retenir de tourner les pages, en quête jamais déçue d’une nouvelle découverte.

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de Ludovic Houplain
Éditions Taschen
776 pages, 39,99 €