Marcher pour avancer

Dans une France meurtrie par la Première Guerre mondiale, deux veuves et un orphelin se lancent sur les routes. Pour aller où ? Voilà une réponse qui ne se laissera pas trouver facilement…

Lorsqu’on pense aux road-movies, ce n’est pas la Savoie de 1920 qui vient spontanément à l’esprit. C’est pourtant l’idée audacieuse d’Anthony Pastor avec Le sentier des reines : cette BD nous invite à suivre le parcours de deux veuves, Blanca et Pauline, accompagnées d’un orphelin de onze ans, Florentin. Tous trois ont quelque chose en commun : l’attente… quatre années passées à espérer le retour des hommes, mobilisés pour la guerre. Ce n’est pourtant pas celle-ci mais – cruelle ironie – une avalanche qui met un terme à la vie des Savoyards revenus sains et saufs des tranchées.

« Si nous restons, nous deviendrons folles. »

Comme il se doit dans un road-movie, les personnages sont caractérisés par le refus. Le refus de continuer à subir, à encaisser les coups du sort : il vient un moment où trop, c’est trop…

Les personnages de la BD ont atteint ce stade hors-champ, quand leurs quatre années de patience n’ont reçu pour récompense que cinq éphémères mois de réunion avec les êtres aimés avant qu’une nouvelle séparation, définitive cette fois, ne frappe. L’injustice d’un tel destin est trop grande, trop douloureuse, pour être supportée… S’il est difficile de lutter contre le sort, on peut toujours tenter de le renier. Voilà comment nos héros fuient leur village natal et les douloureux souvenirs qui s’y rattachent : ils prennent la route, partant pour « ailleurs ».

« Il faut changer des choses… »

Cet « ailleurs » auxquels aspirent les personnages n’est pas géographique mais historique : la société tente de perpétuer les coutumes d’avant-guerre et attise ainsi la révolte de ceux qui, comme les héros, aspirent à autre chose.

La question le plus évidente, portée par les deux héroïnes, est celle de la condition féminine. La conscription massive ayant vidé le pays de ses hommes durant la guerre, il incomba aux femmes de prendre le relais pendant leur absence. L’occasion pour elle de (se) prouver qu’elles ne valaient pas moins que leurs époux et que la logique sexiste en vigueur n’avait aucun fondement.
La pression sociale d’après-guerre tente pourtant de les renvoyer à une position subalterne et au seul rôle de procréatrice : une sujétion que Blanca et Pauline rejettent pour prendre leur destin en main, faisant ainsi tourner la roue de l’histoire vers cet « ailleurs » en direction duquel elles marchent.

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Le lecteur attentif ne manquera pas de remarquer d’autres aspects de cette évolution dans la douleur de la société française, incarnés par les deux autres personnages principaux, Florentin l’adolescent et Arpin le « poilu » – l’antagoniste du récit.

Dans la postface, Anthony Pastor parle de la genèse de son œuvre et évoque notamment les cartes postales de l’époque sur lesquelles il s’est appuyé pour planter ses décors ; méthode payante, tant ses planches sont superbes. Des montagnes savoyardes aux rives de la Seine en passant par la ville de Mâcon, ce sont des vues que n’auraient pas reniées les impressionnistes d’antan qui nous entraînent sur les pas tâtonnants mais déterminés de ces voyageurs, à la suite de ces reines sur leur sentier…

 

20151204 reinescLe sentier des reines
A. Pastor
Éditions Casterman
120 pages / 20 €

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans les semaines à venir, un exemplaire de l’album sera mis en jeu dans le concours du Bon Plan ; ouvrez l’œil !