Numérique : le nouveau facteur d’exclusion

L’Odenore a organisé une rencontre, jeudi 23 juin, sur le thème de l’accès et du maintien aux droits à l’heure du tout numérique : un accompagnement sur l’outil est nécessaire dans 95 % des cas.

2016 : la dématérialisation s’accélère

La rencontre a débuté par une présentation d’Emmaüs Connect autour des différentes problématiques de l’outil numérique. Laurent Amadieu, Responsable de la structure grenobloise, a tout d’abord rappelé que 2016 représentait une année charnière dans la dématérialisation des services publics : certains services sont désormais dématérialisés à 100 %, – ce qui signifie qu’il n’est plus possible d’être accueilli à un guichet – pour des démarches telles qu’une première inscription à Pôle Emploi ou la procédure de maintien de la prime d’activité.

Fracture numérique : la double peine

Si la dématérialisation s’accélère, les difficultés face au numérique sont nombreuses : certaines personnes n’ont pas accès aux équipements (ordinateur ou téléphone connecté à internet) faute de moyens et ne peuvent donc pas joindre les plateformes. Les usagers peuvent aussi manquer de compétences pour utiliser l’interface numérique (les personnes âgées, mais aussi les jeunes qui surfent sur le web, mais ne savent pas utiliser les sites institutionnels). Et la précarité sociale rime souvent avec précarité numérique explique Laurent Amadieu qui évoque « la double peine d’accès aux droits ».

Ce constat est largement partagé dans l’assemblée composée majoritairement de travailleurs sociaux. Les professionnels évoquent un travail d’aide aux démarches numériques chronophage qui empiète sur l’accompagnement des personnes suivies. « Cette dimension transforme le travail social » indique une des participantes.

Des besoins en accompagnement grandissants

Selon Emmaüs Connect, 15 % des usagers seraient en totale précarité numérique, ce qui implique que les travailleurs sociaux devront continuer à les assister dans les démarches sur le web. Cette prise en charge individuelle entraîne aussi des questionnements sur la déontologie, les professionnels ayant parfois accès aux données personnelles des usagers les moins autonomes.

Plus globalement, l’ensemble des acteurs sociaux s’interroge sur cette dématérialisation engagée par l’État qui ne prend pas du tout en compte – notamment en terme de moyens – le nécessaire suivi qui en découle. D’autant plus que le non-recours entraîne la prescription d’aides sociales facultatives pour compenser le retard de traitement des dossiers généré par les difficultés d’accès aux plateformes.

Qui doit réaliser l’accompagnement ? Vers qui orienter les personnes qui ont besoin d’apprendre à utiliser les outils numériques ? Pour Pierre Mazet, chargé d’études à l’Odenore, des institutions comme la CAF devraient former leur personnel pour détecter le niveau de compétence des allocataires. Emmaüs Connect est d’ailleurs en train de créer un indicateur de maturité numérique qui permet de faire un diagnostic de l’état des compétences d’une personne sur l’outil informatique.

L’accès au numérique : une question de formation

La question de la manière de former se pose aussi : pour Laurent Amadieu, il est important de trouver les leviers de motivation des personnes, de leur faire découvrir l’intérêt que peut avoir Internet dans leur vie quotidienne, avant d’aller sur les sites institutionnels au langage administratif rébarbatif. La responsable du SLS (Service Local de Solidarité) de Pont-de-Claix évoque aussi la possibilité d’intégrer l’outil web lors des ateliers proposés dans les centres sociaux (présenter « Marmiton » lors d’un atelier cuisine par exemple).

La formation est donc au cœur de la problématique d’accès au numérique, et il faudrait mettre en place un plan d’inclusion global, ce qui n’est actuellement pas le cas. La réunion a cependant permis de lister les initiatives prises par les uns et les autres au niveau local. Citons le programme Connexions Solidaires mis en place par Emmaüs Connect et les permanences connectées dans les maisons des habitants de Grenoble. La Métro est par ailleurs en train de construire un programme d’actions sur les usages du numérique qui devrait débuter à la rentrée prochaine. Affaire à suivre.

L’enregistrement de la séance peut être écouté ici.