Pour son fils, pour le monde

Que peut dire un père à son fils quand il voit la justice de son pays acquitter le racisme ? Quelle sagesse lui proposer pour le préparer à un tel monde ? Ta-Nehisi Coates tente de répondre à ces questions avec le livre Une colère noire.

« Une colère noire – Lettre à mon fils » sort en France le 27 janvier.
Un policier blanc de Chicago saisit la justice le 8 février pour obtenir dix millions de dollars des parents du jeune homme noir qu’il a abattu dans des circonstances controversées.
Comme si l’actualité outre-Atlantique se complaisait à alimenter et justifier la colère de Ta-Nehisi Coates, au cas où les Trayvon Martin, Michael Brown, Tamir Rice, Walter Scott… et tous les autres plus anciens ou moins médiatisés n’avaient pas suffi.

Mais quelle est-elle exactement, cette colère ?

Une leçon donnée par le monde

Le titre original de l’ouvrage est « Between the world and me » : « Entre le monde et moi »,  littéralement. Sans vouloir manquer de respect à l’éditeur, la manière dont il a intitulé la version française ne restitue pas cette idée essentielle de l’auteur : sa colère, sa lutte sont dirigées contre un système entier, celui de son pays d’origine – auquel se résumait son monde jusqu’à ce qu’il découvre d’autres contrées par ses voyages.

Ta-Nehisi Coates parle longuement de sa période formatrice, de l’enfance à l’âge adulte. Il y consacre la première partie de sa lettre à son fils et montre comment lui et tous les autres Noirs de sa connaissance ont été éduqués par le monde, comment ils ont « perdu leurs corps ». Sous cette expression, il désigne la banalisation de la violence physique et l’impunité dont il voit jouir les coupables de ces exactions.

« […] en Amérique, la destruction du corps noir est une tradition – un héritage. »

Ta-Nehisi Coates parle de sa quête du pourquoi, de ce questionnement qui l’a guidé et l’accompagne encore aujourd’hui : comment un tel monde a-t-il pu être bâti et surtout pourquoi est-il toléré et en même temps nié par un pays qui se veut le champion de la démocratie et des valeurs. Sa réponse est aussi simple que terrifiante : « […] parce qu’une montagne n’est pas une montagne s’il n’y a rien en bas. », comme l’a dit Thavolia Glymph avant lui. Pour que certains vivent dans l’illusion de leur supériorité – le Rêve, comme l’appelle Coates – il faut que d’autres soient rabaissés plus bas que terre, voués à être méprisés, à servir de repoussoir.

« La haine donne une identité. »

Un regard incisif et iconoclaste

Pour un Français, la lecture de ce livre offre une expérience inhabituelle. Notre République est fondée sur l’idée qu’elle est « une et indivisible », ainsi que le rappelle notre Constitution. Nous refusons toute catégorisation, raciale ou religieuse ; c’est en tous cas notre idéal.

Les États-Unis, au contraire, reconnaissent ouvertement les communautés, ces corps sociaux desquels les citoyens du pays se réclament, ces étiquettes qu’il est possible de leur accoler. Dans cette grille de lecture, le racisme est un problème entre les communautés et peut donc se résoudre en soutenant celle qui est mise à mal.

Ta-Nehisi Coates se place sur une ligne distincte : pour lui, « La race naît du racisme. », ce qui signifie que les Noirs ne sont pas des humains à la peau noire mais une caste fabriquée pour occuper le bas de l’échelle sociale, pour être exploitée.

« […] ces gens n’étaient pas noirs à cause d’une couleur ou d’une caractéristique physique. Ils étaient liés parce qu’ils subissaient le fardeau du Rêve […]. »

Nous pouvons penser que c’est cette fraîcheur dans l’analyse du racisme aux États-Unis qui a soulevé l’enthousiasme de ses lecteurs et lui a valu un si vif succès.

Ta-Nehisi Coates vit aujourd’hui en France avec sa famille, pour « fuir » sa notoriété inattendue. Il s’est déclaré, lors d’une interview à Télérama, surpris que des Blancs s’intéressent à son livre alors qu’il ne s’adressait pas à eux.
C’est la marque d’un grand écrivain que de voir son œuvre le dépasser et « Une colère noire », en offrant une analyse si percutante du racisme et au-delà, des rapports de domination intrinsèques aux sociétés humaines, est indéniablement une lecture propre à intéresser tout le monde.

20160209 coatesbUne colère noire – Lettre à mon fils
Ta-Nehisi Coates
Éditions Autrement
208 pages / 17 €