Projection d’un système de santé sans l’aide médicale d’État

«Un marchepied électoral »

C’est en ces termes que Jérôme Marty, un médecin généraliste exerçant dans l’arrondissement de Toulouse, qualifie le projet de loi visant à la suppression de l’aide médicale d’État.

La suppression de l’aide médicale d’État s’est invitée dans les débats publics durant 2023. Cela appelle donc une réflexion sur les conséquences d’une éventuelle suppression.
L’aide médicale d’État, communément appelée AME, est un dispositif d’aide sociale visant à prendre en charge les dépenses médicales des étrangers en situation irrégulière, vivant sur le territoire français – de manière ininterrompue – depuis plus de trois mois.

Comment obtenir l’AME ?
Pour bénéficier de l’aide, le demandeur doit remplir le formulaire cerfa n°11573. Ledit formulaire contient une notice indiquant les documents à fournir. La première demande doit être déposée auprès d’une caisse primaire d’assurance maladie (CPAM).
Ce dispositif n’a toutefois pas vocation à prendre en charge la totalité des dépenses de santé. 
En effet, l’AME couvre 100 % des soins médicaux et d’hospitalisation en cas de maladie ou de maternité mais dans la limite stricte des tarifs de la sécurité sociale.
La part consacrée à la subvention de ce dispositif est égale à 1,2 milliards d’euros (sur 252 milliards d’euros), soit 0,47 %  du budget de l’Assurance maladie.  

Cependant, dès sa mise en place en 2000, l’AME a fait l’objet de nombreuses critiques émanant tant des élus politiques de droite que de certains professionnels de la santé.
C’est ainsi que des médecins ont dénoncé une forme de « tourisme médical » ; à l’instar du chirurgien français spécialiste de la greffe de visage, Laurent Lantieri. Ce dernier évoquait en 2010 déjà « des patients qui abusent du système ». 
Du côté des élus de la droite, nombre d’entre eux n’hésitent pas à évoquer un « appel d’air migratoire ». 

C’est dans ce contexte que certaines restrictions concernant le bénéfice de l’AME ont été imposées.
Il s’agit notamment du délai de carence d’ouverture de droit qui a été augmenté en 2021 concernant certains soins non urgents, tels que les opérations de la cataracte ou les poses de prothèse de hanche. Ce délai étant passé de trois mois à neuf mois. 

La proposition de suppression totale de l’AME au début de l’année 2023

Dès le début de l’année 2023, dans le cadre du projet de loi immigration, c’est la suppression totale de l’AME qui avait été proposée, en vue d’être remplacée par l’aide médicale d’urgence (AMU). 
La nouvelle aide médicale accordée aux étrangers proposait de limiter la prise en charge des soins de santé aux maladies graves et aux douleurs aiguës, à la prophylaxie, à la grossesse, aux vaccinations et aux examens de médecine préventive. 

Le 7 novembre 2023 le Sénat avait adopté le projet de loi par 200 votes favorables, contre 136 défavorables. En revanche, le 29 novembre 2023 la Commission des lois de l’Assemblée Nationale a supprimé l’article controversé. 
Cependant, bien que l’aide médicale d’État ait été rétablie, il n’est pas définitivement exclu que l’article refasse son apparition en séance publique. En effet, les députés de droite (LR et RN) pourraient déposer plusieurs amendements afin de rétablir la suppression de l’aide médicale d’État. 

La voix d’opposition des professionnels de la santé 

Pour l’heure, il n’est pas impossible que certains députés (qui se sont opposés à la proposition de loi, ou qui ont rétro-pédalé), aient considéré les avertissements émis par les professionnels de santé. 
Ces derniers ont en effet mis en garde les élus face aux divers risques, notamment sanitaires, que pourrait présenter la suppression de l’AME. 
C’est ainsi qu’une pétition  – initiée par des médecins eux-même – et appelant « à la désobéissance », avait réuni plus de 3500 signatures.
De la même manière, de nombreuses fédérations et ONG avaient défendu le maintien de l’aide médicale d’État ; à l’instar de SOS médecins France ou encore de Médecins du monde. 
Cette levée de boucliers aura, en tout cas, permis d’alerter sur les risques d’une future éventuelle suppression de l’AME. 
Précisément, les professionnels contestataires ont mis en lumière l’inadéquation d’une telle mesure avec le serment d’Hippocrate que chacun d’entre eux a prêté au prémisse de sa carrière. 
Pour rappel, ledit serment engage les médecins à “[donner] les soins à l’indigent et à quiconque les demandera” sans discrimination.
La mise en péril de la santé publique avec les risques épidémiques et la recrudescence de maladies infectieuses a également été souligné. Enfin, le risque d’une surcharge des services hospitaliers pour pallier les manquements de la médecine de ville a également été largement signalé par les professionnels de santé. 

Nous avons recueilli le témoignage de l’un de ces « lanceurs d’alerte ». 
Le Dr N. a accepté de nous parler, sous couvert d’anonymat, des risques sanitaires, économiques, sociaux et institutionnels qu’engendrerait une éventuelle suppression de l’AME.
Une question qui, comme il le rappelle, relève normalement du code de la santé publique et donc du ministère de la santé. Pourtant, ladite question aura été intégrée dans le projet de loi immigration et aura été soutenue par le ministre de l’intérieur.

Entretien avec le Docteur N.

Que représente la part des bénéficiaires de l’AME dans votre patientèle, en terme quantitatif et qualitatif ? 

« Cela représente environ 10 à 20 %, soit entre 50 et 100 patients. Il s’agit souvent de familles, mais également de personnes seules, d’âge jeune ou d’âge moyen. 
Je reçois des urgences pédiatriques. Certains viennent également pour des suivis métaboliques, type suivi de diabètes, d’hypertension, ou encore de thyroïde. D’autres viennent pour des suivis cardio-vasculaires. En ce qui me concerne, je ne reçois pas de patients qui voudraient faire du «tourisme médical». Beaucoup de patients ne font même pas les démarches administratives pour pouvoir bénéficier de l’AME, alors qu’ils sont éligibles à cette aide.. Certains restent résidents plusieurs années en France avant de faire une demande d’AME. D’autres personnes ignorent carrément leurs droits.» 

Pensez-vous qu’une suppression éventuelle de l’AME soit bénéfique en terme économique ?

« Il ne faut pas oublier que l’AME représente moins d’un pourcent du budget de la sécurité sociale, ce qui est minime. Par ailleurs, cette dépense est un moindre mal si l’on raisonne en termes de santé publique. Ce 1 % nous permet de mener une action préventive via les vaccinations et les dépistages notamment. Il faut partir du principe qu’une action préventive sera toujours moins onéreuse qu’une action curative. Agir en amont permet de limiter les soins plus coûteux. Ce 1 % nous permet de limiter les risques de décompensation de pathologies initiales ou de cancers. La suppression de l’AME ne présente objectivement pas d’avantage significatif en termes budgétaires.» 

Sur le plan sanitaire, administratif et institutionnel (on pense notamment aux Hôpitaux), une suppression de l’AME aurait-t-elle une répercussion ?


« En termes de santé publique, il existera un risque de contagion du fait de l’absence de prévention. Le risque épidémiologique est réel. Des pathologies hautement infectieuses pourraient se répandre au sein de la population générale, comme la tuberculose, ou encore l’hépatite C. Sur le plan géographique et organisationnel, il risque d’y avoir un exode médical. La suppression de l’AME et donc la perte d’une partie de la patientèle pourrait dissuader les jeunes médecins de s’installer dans certaines zones, notamment en Quartiers prioritaires de la  Politique de la Ville (QPV) ; puisque nombre de bénéficiaires de l’AME sont résidents en QPV. Sur le plan institutionnel, la répercutions sur les CHU sera directe, avec un risque de saturation des services hospitaliers : les bénéficiaires de l’AME ne pouvant pas se soigner via la médecine de ville iront chercher leurs soins à l’hôpital.» 

En tant que professionnel de la santé vous avez prêté le serment d’hippocrate. Estimez-vous qu’une suppression éventuelle de l’AME pourrait avoir un impact sur ce serment ?

« La question éthique et déontologique se pose forcément. Certains soins seront refusés à certains patients sur des considérations qui sont finalement d’ordre “ politico-administratives ”. Alors que le serment que nous avons prêté nous engage à prodiguer les soins nécessaires à toutes les personnes, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. »

Que représente la part des bénéficiaires de l’AME dans votre patientèle, en terme quantitatif et qualitatif ? 

« Cela représente environ 10 à 20 %, soit entre 50 et 100 patients. Il s’agit souvent de familles, mais également de personnes seules, d’âge jeune ou d’âge moyen. 
Je reçois des urgences pédiatriques. Certains viennent également pour des suivis métaboliques, type suivi de diabètes, d’hypertension, ou encore de thyroïde. D’autres viennent pour des suivis cardio-vasculaires. En ce qui me concerne, je ne reçois pas de patients qui voudraient faire du «tourisme médical». Beaucoup de patients ne font même pas les démarches administratives pour pouvoir bénéficier de l’AME, alors qu’ils sont éligibles à cette aide.. Certains restent résidants plusieurs années en France avant de faire une demande d’AME. D’autres personnes ignorent carrément leurs droits.» 

Pensez-vous qu’une suppression éventuelle de l’AME soit bénéfique en terme économique ?


« Il ne faut pas oublier que l’AME représente moins d’un pourcent du budget de la sécurité sociale, ce qui est minime. Par ailleurs, cette dépense est un moindre mal si l’on raisonne en termes de santé publique. Ce 1 % nous permet de mener une action préventive via les vaccinations et les dépistages notamment. Il faut partir du principe qu’une action préventive sera toujours moins onéreuse qu’une action curative. Agir en amont permet de limiter les soins plus coûteux. Ce 1 % nous permet de limiter les risques de décompensation de pathologies initiales ou de cancers. La suppression de l’AME ne présente objectivement pas d’avantage significatif en termes budgétaires.» 

Sur le plan sanitaire, administratif et institutionnel (on pense notamment aux Hôpitaux), une suppression de l’AME aurait-t-elle une répercussion ?

« En termes de santé publique, il existera un risque de contagion du fait de l’absence de prévention. Le risque épidémiologique est réel. Des pathologies hautement infectieuses pourraient se répandre au sein de la population générale, comme la tuberculose, ou encore l’hépatite C. Sur le plan géographique et organisationnel, il risque d’y avoir un exode médical. La suppression de l’AME et donc la perte d’une partie de la patientèle pourrait dissuader les jeunes médecins de s’installer dans certaines zones, notamment en Quartiers prioritaires de la  Politique de la Ville (QPV) ; puisque nombre de bénéficiaires de l’AME sont résidents en QPV. Sur le plan institutionnel, la répercutions sur les CHU sera directe, avec un risque de saturation des services hospitaliers : les bénéficiaires de l’AME ne pouvant pas se soigner via la médecine de ville iront chercher leurs soins à l’hôpital.» 

En tant que professionnel de la santé vous avez prêté le serment d’hippocrate. Estimez-vous qu’une suppression éventuelle de l’AME pourrait avoir un impact sur ce serment ?

« La question éthique et déontologique se pose forcément. Certains soins seront refusés à certains patients sur des considérations qui sont finalement d’ordre “ politico-administratives ”. Alors que le serment que nous avons prêté nous engage à prodiguer les soins nécessaires à toutes les personnes, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. »