Résistance avec un grand « R »

Lorsque l’on parle de Résistance, on pense bien souvent aux années de guerre, à ces années quarante, en France et en Europe. Mais seulement voilà, Maurice Hugelé, ancien résistant et ancien déporté, ne vous dira pas tout à fait la même chose.

Une fin de journée autour de quelques verres, à Grenoble. L’objet de mon enquête se porte sur les Résistances d’aujourd’hui : « Sur quels points faut-il se montrer vigilant ; faut-il résister, pour et contre quoi ? »… Vastes questions, j’ai en tout cas frappé à la bonne porte… Sont ici réunis Maurice Hugelé, Serge Radzyner et son épouse Mireille, ainsi que Michel Rahon. Ils sont tous membres des Amis de la Fondation pour la mémoire de la Déportation (AFMD). Alors, par rapport à qui et à quoi se rapportent les Résistances d’aujourd’hui ?

Maurice Hugelé (MH) commence par évoquer ces années de guerre : « Les gens qui ont le courage de se révolter, il y en a qui oublient tout le temps […] il y en a qui dorment !… oui, on a connu ça, vous savez, pendant la guerre, il y en avait tellement qui dormaient, ils attendaient que ça se fasse tout seul… […]
Moi j’ai connu la solidarité, c’est la seule chose qui a pu nous permettre de revenir – il n’y a que ça !… On était solidaires parce qu’on n’avait rien… On était solidaires avec rien – avec notre morceau de pain…, mais avec des paroles… et maintenant, c’était important les paroles…
Et maintenant, les gens – ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre –, les gens, ils en font quoi de leur pognon vous voulez me dire ? Ils ne savent pas quoi en faire mais ils en veulent encore plus.

C’est ça… c’est le genre humain… tandis que moi, ce que j’ai connu… il n’y avait rien, mais la solidarité, si on n’avait pas été solidaires on ne serait pas revenus – jamais, jamais, jamais, jamais ! C’était la solidarité, uniquement par le soutien moral – parce qu’on n’avait pas autre chose. Mais c’est important, alors que maintenant, il n’y a même plus le soutien moral ».

Michel Rahon (MR) : « On retrouve bien à travers les paroles de Maurice, qui a été résistant et déporté, ce lien important de ne pas déconsidérer les Résistances d’aujourd’hui.
Chaque fois que j’entends parler Maurice, il y a ce trait d’union extrêmement important sur les Résistances d’aujourd’hui.

Je prendrai quelques exemples, dans un lieu extrêmement important qui est une institution du conseil général : à savoir le musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère ; sur les dernières expositions temporaires – qui se trouvent au rez-de-chaussée –, quelles ont été ces expositions ?
On va parler d’une qui va se tenir dans quelques semaines.
Il y a eu une exposition sur le Camp de Sangatte, alors on peut se poser la question : mais comment se fait-il que dans un musée de la Résistance et de la Déportation – Résistance avec un grand « R », Déportation avec un grand « D », on retrouve une exposition sur le Camp de Sangatte ?
Parce que le Camp de Sangatte, il y avait des Résistances qui s’y exprimaient…
Quand il y a eu une exposition sur la Tchétchénie : c’est la même chose – c’est le même principe.
Quand il y a eu une exposition sur les grands-mères de la place de Mai, et l’Argentine, on est encore dans les Résistances d’aujourd’hui.
Quand il y a eu cette exposition organisée avec une association de chômeurs, eh bien on est encore dans ces Résistances-là.
Quand prochainement, il va y avoir une exposition temporaire sur ce qu’on peut appeler la tragédie du Cambodge, mais qu’on pourrait appeler auto-génocide qui a eu lieu au Cambodge, bien que ce soit, là, un peu plus loin déjà dans le temps, on est quand même bien loin de ce trait d’union avec cette grande Résistance – ce que nous, en France, on appelle la grande Résistance parfois avec un grand « R » –, et les Résistances d’aujourd’hui, mais qui n’ont pas de petit « r » non plus, qui sont aussi des Résistances au sens propre du terme.
Alors on peut s’étonner que dans un musée de la Résistance et de la Déportation aient lieu de telles expositions, eh bien non, parce que les fondateurs du Musée de la Résistance et de la Déportation ont dit et ont écrit qu’ils voulaient que ce musée soit en prise directe avec le temps, c’est à dire avec l’évolution des Résistances, y compris d’aujourd’hui.

[…] Maurice a employé deux mots : l’oppression, tu [Maurice Hugelé] as rajouté : la perte de la dignité ; quand je cite ces expositions, eh bien on les retrouve, ces deux mots ; et puis : l’injustice ».

 

Le décor est planté…
C’est aujourd’hui. Maintenant.
L’histoire ancienne est liée à l’époque actuelle. Elle ne doit pas en être séparée…

MH :
« Et ce que vous voulez savoir, c’est ce qu’on pense de l’injustice, maintenant, mais on vit dans l’injustice, et diviser pour régner, mais c’est ce que notre grand Président s’amuse à faire… »

Mireille Radzyner (MiR) : « On est dans une société qui est en déliquescence complètement… donc, après, pour survivre, on fait de la solidarité dans son groupe… »

Serge Radzyner (SR) :
« Je pense que l’homme politique dirigeant qui s’appuie sur ces faits, sur cet état de fait – qu’il n’a pas créé directement – s’appuie dessus pour l’accentuer, pour en jouer ».

 

Là nous sentons la division, l’état de division dans lequel nous vivons et auquel, bon gré mal gré, nous avons fini par nous habituer… De là à parler de pouvoir et d’argent, il n’y a qu’un pas…

MH : « Contre la force, contre la force brutale, contre la force de l’argent, il ne faut pas se battre à visage découvert […] il faut lutter contre eux, en essayant de se regrouper ».

 

Nous y sommes : prendre conscience de la situation, se rassembler et lutter.

MiR : « D’un autre côté, moi je constate que chaque fois qu’il y a eu des luttes, chaque fois qu’il y a eu des révoltes, ça a toujours été une minorité de gens. Ça ne s’est jamais fait avec un consensus majoritaire… »

 

Au sujet de ce qu’on a dit et fait récemment par rapport à la Lettre du Guy Môquet :

MR : « On ne peut pas « fabriquer » – entre guillemets, des Résistants, si on les maintient dans l’affect – fabriquer des Résistants, c’est donner de la connaissance […] rendre les gens autonomes, faire en sorte qu’à partir de leur connaissance ils aient des opinions, et non pas… faire pleurer parce qu’on est dans l’affect ».

MH : « Moi, je pense une chose, je fais partie – comme mes copains là, je fais partie des gens qui voudraient bien que la jeunesse ait un peu d’espoir… »

Je crois que tout cela est assez clair…
Citons, pour finir, Etty Hillesum dans son ouvrage « Une Vie bouleversée » qui peut bien là, s’adresser à tout le monde – à tout un chacun –, en sachant que la « guerre » n’est pas toujours celle que l’on croit… :
« […] à quoi cela servirait-il, qu’après la guerre, nous ayons pu résister, sans déraciner dans chacun de nos cœurs tous les germes de haine… »

 

Bloc-note
AFMD : www.afmd.asso.fr
Etty Hillesum, « Une Vie bouleversée », éditions du Seuil.
www.resistance-en-isere.fr