Serial social, confessions d’une assistante sociale

Dans le sillage de l’ouvrage de Xavier Bouchereau, Au cœur des autres, journal d’un travailleur social, dont le Bon Plan avait fait la critique, les Editions Les Liens qui Libèrent (LLL) proposent, à leur tour, aujourd’hui, les « confessions d’une assistante sociale », d’Elise Viviand, qui suit le même principe : sur le mode du récit autobiographique, on plonge derrière le miroir de celui qui contemple la misère du monde.

Un ton qui évolue

Si le ton du livre de Xavier Bouchereau oscillait entre le tragique et le paradoxe existentiel, on entre, dans l’ouvrage d’Elise Viviand, par le biais humoristique. L’auteure force le trait, distingue, souvent affectueusement, les détails révélateurs. L’entrée dans le propos peut alors, au départ, sembler monotone, du fait d’une répétition sans doute trop accentuée des effets de styles « marrants » et « attendrissants ». On a même parfois l’impression que l’humoristique semble une figure de rhétorique forcée, ce qui peut parfois irriter. Et pourtant l’auteure réussit à intéresser le lecteur qui finalement est interpellé par son propos, et la prend en sympathie. On se rend compte qu’il y a un cœur derrière le crayon et on a envie de continuer à lire.

Au fur et à mesure de la lecture, une vision plus vraie et plus profonde perce : Elise Viviand remet en cause les préjugés et les clichés qui affectent les « cas sociaux » : on découvre que, par delà le « populisme » et les caricatures courantes qui font le pain quotidien des a priori politiques, il y a des humains, des situations invraisemblables ou carrément infernales, qui touchent droit au cœur de l’auteure, qui bien loin de s’en laver les mains quand la pendule indique la fin de journée, se laisse gagner par ces situations. En lisant son livre on plonge avec elle dans une spirale dont on ne peut pas humainement sortir. L’assistante sociale n’incarne alors plus une façade ou une étape dans une démarche administrative, elle est un cœur bouleversé sur une mer qui la saisit, et dans laquelle elle nage, sans se soucier de savoir si elle s’éloigne du large ou pas.

Une perspective qui devient critique

Du coup, le témoignage se change en discours. L’auteure met en perspective réalité et représentations courantes et on perçoit une once d’agacement qui remplace la tendresse humoristique du départ. On atteint même la sentence philosophique, quand on lit page 90 : « Une société qui ne sait protéger ni ses enfants ni ses anciens est une humanité qui se meurt ». La remise en question est, dès lors, de rigueur, et atteint la conception même du métier d’assistante sociale, quand celle-ci réalise qu’elle n’a pas les moyens juridiques ou législatifs de faire son travail. Elle est au service d’un système qui ne lui permet pas de faire ce qu’on lui demande de faire. L’absurde se joint à la douleur quand, comme l’auteure, on est profondément concerné par ce que l’on fait.

Ce qui n’empèche pas l’assistante sociale de penser. Bien au contraire. Tout le système révèle son absurdité, et bientôt ce sont les associations jugées caritatives comme les « Les enfants de Don Quichotte », les dispositifs comme le DALO, la couverture médiatique des problèmes qui indignent mais sans qu’on agisse. Sur tous ces points Elise Viviand porte la colère au concept et là encore fait face à l’absurde.

Alors, notre assistante sociale craque. Elle pleure, elle n’en peut plus, elle arrête. C’est le dernier chapitre du livre. Elle tombe enceinte, se retire du monde social, elle ne peut pas porter toute la misère du monde dont elle a désormais une conscience aigüe. Et le livre s’achève sur ce paradoxe : chacun est indifférent aux problèmes d’un grand nombre, ce qui est scandaleux en soi, mais pourtant nul individu ne peut inverser la tendance et tout prendre sur soi. Ce n’est tout simplement pas possible. Il faut aussi penser à soi, faire sa vie, prendre son temps, réaliser ses projets, en ignorant dès lors, mais sans doute pour des raisons essentielles, la misère des autres. Penser l’insoutenable est aussi insoutenable. Un individu, fut-il assistante sociale, peut tellement peu de choses face à la misère, qu’il n’est pas faux de dire qu’il n’y peut rien.

Ce livre est un témoignage vraiment intéressant, qui, par delà l’intérêt qu’il ne manque pas de susciter chez le lecteur, donne aussi matière à réfléchir. Un livre enrichissant.

 

Serial social, Confessions d’une assistante sociale
Elise Viviand
Editions Les Liens qui Libèrent – 2014
14,90 euros