Don Quichotte (enfin) en images

« Imaginez-vous un livre où le héros s’arrête faire pipi ? » se demande-t-on dans Don Quichotte. Cervantès l’a fait. Rob Davis le suit. Et le lecteur adhère.

Car j’ai l’honneur d’être moi

« Je ne crois pas qu’il soit sage de suivre un fou  », s’écrie Sancho Pança dans un rare moment de sagesse, lui qui suit avec dévouement Don Quichotte juché sur sa Rossinante.

Un fou qui se croit chevalier, un cheval malingre, un écuyer bedonnant et son âne anonyme : voici la fine équipe qui parcourt l’Espagne du dix-septième siècle, toujours prompte à se tromper d’ennemi ou prendre des vessies pour des lanternes.

Il est pourtant paradoxal, cet écuyer bedonnant-là. S’il croit dur comme fer aux délires chevaleresques de celui qu’il a désigné comme son maître, il ne cesse de chercher à le ramener à la réalité, lorsque Don Quichotte charge des moulins à vent ou prend les auberges comme des châteaux. Insensible aux petites illusions, il n’adhère qu’à la grande. Figure du lecteur peut-être, qui sait qu’un roman n’est fait que de mensonges mais le lira avec plaisir jusqu’à sa dernière page.

Ces mensonges-là, Don Quichotte y a cru. Atteint de bovarysme avant l’heure (on parlait d’ailleurs, avant Flaubert, de donquichottisme), il a dévoré les récits de chevalerie signés durant le moyen-âge jusqu’à confondre ces histoires avec la réalité.

Devenu avec le temps le symbole d’un homme luttant pour son idéal, Don Quichotte est pourtant, et avant tout, un pauvre fou que ses chimères ne cessent de punir. Et si son créateur éprouve sans doute un peu de tendresse à son égard, il ne l’épargne guère au fil de ses aventures, marquées de perpétuelles rosseries et humiliations.

 

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L’inaccessible étoile

Cette dimension ridicule et emphatique du personnage, Rob Davis la restitue à merveille dans son adaptation en bande dessinée de l’oeuvre de Cervantès. Son trait acéré et son sens des silhouettes sert l’ambiance d’une Espagne peuplée d’auberges louches, de processions religieuses, de bergers parcourant les plaines et de bagnards en partance. Un autre monde dont la part de mystère demeure, avec ou sans les fantasmes de Don Quichotte.

Rob Davis ne délaisse toutefois pas un autre aspect du roman de Cervantès : sa qualité littéraire même. Don Quichotte est un livre foisonnant, très en avance sur son époque, mettant en œuvre des procédés littéraires révolutionnaires et constituant, pour de nombreux critiques, le premier roman (au sens moderne du terme) de l’histoire de l’humanité.

Ses récits enchâssés, sa narration parodique, la qualité de ses personnages, sa volonté de renverser les codes et les conventions, tous ces éléments se retrouvent sous la plume du dessinateur, mis en scène sans que jamais le ludique ne nuise à la clarté. Un tour de force, en réalité.

Si Don Quichotte représente une malédiction pour les cinéastes – Orson Welles et Terry Gilliam s’y sont cassé les dents –, on se réjouira que Rob Davis soit arrivé au bout de son projet sans encombre, tant il rend hommage au génie de Cervantès et à la folie de son personnage avec un indéniable et courageux talent.

Rarement dessinateur aura si bien compris l’esprit de l’auteur qu’il adapte, établissant avec lui, malgré cinq siècles de distance, une véritable complicité.

20151205 donquichotte3Don Quichotte
De Rob Davis
Adapté de l’oeuvre de Cervantès
Traduction d’Anatole Pons
Éditions Warum
156 pages, 20 €