Gloria Leroy, l’indépendance solidaire

Gloria Leroy est vélo-taxi à Grenoble. Elle fait aussi partie des Boîtes à vélo, un groupement d’entrepreneurs cyclistes qui prône la coopération. Parcours d’une femme aux mollets et au tempérament d’acier.

Énergique et chaleureuse, Gloria Leroy a la discussion facile et le sens de la dérision pour évoquer son parcours de vie aux multiples facettes, un cheminement de petits boulots en engagements associatifs qui l’a menée à créer son entreprise de vélo-taxi.

Le choix du cadre

Avec un père militaire et une mère travaillant à La Poste, Gloria, l’aînée d’une fratrie de quatre sœurs, passe son enfance à déménager, au gré des affectations de son père, du sud à la Lorraine. Une instabilité qui lui apporte une extrême adaptabilité, tandis qu’elle intègre l’internat militaire, pour gagner en indépendance vis-à-vis de sa famille. Cette expérience ne prépare pas aux réalités de la vie selon elle : « Les valeurs militaires sont des valeurs de mérite : cela n’existe pas dans la société. » Et pour la jeune femme, qu’on sent plus insoumise que conventionnelle, l’armée a l’esprit un tantinet trop étriqué : « Je trouvais admirable qu’on soit tous au même niveau grâce à l’uniforme, mais l’armée reste un endroit où il faut rentrer dans les cases. Porter un uniforme et uniformiser, ce n’est pas la même démarche. »


Le désir d’enseigner

Au sortir de la terminale, elle s’inscrit en lettres modernes à l’université de Lyon : « Je me destinais à l’enseignement du français. J’avais une vision « pagnolesque » du métier. » Elle rejoint Grenoble en deuxième année, ville pour laquelle elle se sent le plus d’attaches. Si le lieu d’études change, le rythme reste effréné :« On était juste au-dessus du seuil pour la bourse. Avec mes parents en cours de divorce, j’ai dû me débrouiller. À côté des cours, je cumulais des petits boulots à temps partiel. Je travaillais 25 à 30 heures par semaine en horaires décalés. » Ce n’est pourtant pas la charge de travail qui va l’arrêter, mais la découverte de la réalité du métier d’enseignant qu’elle entrevoit lors d’un stage durant lequel certains jeunes vont lui confier leurs difficultés :  » Pour moi, le rôle du professeur, c’était la transmission de savoirs. J’ai réalisé qu’il était d’abord un travailleur social ».


Un esprit libre

Elle abandonne alors la fac pour s’engager dans la vie associative locale en cumulant toujours les petits boulots. Tour à tour militante féministe et du mouvement LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et trans) et chroniqueuse cinéma pour RCF (Radio chrétienne francophone), Gloria garde son indépendance d’esprit en toutes circonstances : « J’étais plus libre à RCF que je ne l’aurais été au Petit Bulletin, où l’on aurait tiré sur moi à boulets rouges si j’avais dit du bien d’un film populaire ».


Précaire depuis toujours

Entre expériences associatives et jobs alimentaires, c’est l’écosystème de la débrouille : « La seule chose qui est stable chez moi, c’est que je suis précaire depuis toujours. Travailler tout le temps sans jamais avoir d’argent, il y a eu des accidents de vie aussi. » Le temps passe et les employeurs ne veulent plus d’elle sur des postes d’employé, car ils la jugent trop compétente, mais pas assez diplômée pour être cadre. Elle cherche alors à se former en gestion de PME PMI, mais les financements ne suivent pas. Et puis, un jour de juin 2015, elle tombe sur un encart de Gremag : L’Adie, en partenariat avec Mon Coursier de Quartier, accompagne les personnes sans accès au crédit bancaire à la création d’entreprise de vélo-taxi grâce au microcrédit. Si l’idée séduit immédiatement la jeune femme, le déclic n’est pas instantané : « J’avais la double barrière femme et précaire : moi, qui ne suis rien, devenir patronne, c’est inconscient. J’ai dû dépasser ce premier réflexe épidermique et l’Adie m’a beaucoup aidé : ils savent que la précarité ne doit pas être un frein à la créativité. »


Des métiers innovants

À l’automne 2015, Gloria commence à rouler. Si elle transporte aussi bien des marchandises que des personnes, elle a décidé de développer son orientation sociale :  » Je facilite les déplacements de personnes qui ont des mobilités compliquées, des personnes qui ont des handicaps ou des personnes âgées. Je fais de l’accompagnement aux courses, je récupère les enfants à l’école… »

Gloria fait aussi partie des Boîtes à vélo Grenoble : un collectif qui regroupe les entrepreneurs exerçant leurs activités professionnelles à bicyclette (artisanat, commerce de rue, services de proximité…) :  » On est une équipe formidable, une famille ! Et nous sommes des pionniers. Les métiers à vélo sont innovants, il y a tout à construire. La notion de vélo utilitaire n’existe pas. C’est ce vide juridique sur lequel jouent Uber et Cie. On est dans la jungle avec un coupe-ongles : chaque jour, on se bat pour structurer nos métiers. »


L’économie du pauvre

Si la bicyclette, c’est écolo, c’est surtout pour Gloria :  » L’économie du pauvre : les métiers vélo compatibles, ce sont des petites mises de départ. Moi, ça m’a permis de créer mon emploi. Physiquement, c’est dur, mais je suis plus à ma place que je ne l’ai été de toute ma vie. »

Et pour la jeune femme, la réussite ne se mesurera pas en millions, mais dans la faculté à perdurer dans le temps et à vivre correctement de son travail : « Le développement de ces petits services peut créer un dynamisme économique et entrepreneurial formidable, c’est un rouage essentiel dans la société qui va s’effondrer si on dénigre tout cela. Il y a des pays comme le Brésil où toutes ces petites économies ne sont pas taxées. En France, il faudrait resectoriser, ne pas considérer à l’identique grosses et petites entreprises. »

En attendant, Gloria continue sa route, militante l’air de rien, pour la liberté d’entreprendre et de refuser les fatalités.