Halloween, la Noël du pauvre ?

Le 31 octobre au soir et dans la nuit, la fête d’Halloween battra son plein aux Etats-Unis et au Canada, mais ne sera pas en reste en France : enfants déguisés, soirées spéciales dans les discothèques et autres festivités tournent autour de la fête à la citrouille. Mais d’où vient-elle exactement ?

Jack et le navet magique

Jack avait joué dans sa vie bien des tours au Diable, qui n’avait pas su se méfier assez de ce vieil ivrogne d’Irlandais derrière la méchanceté duquel se cachait beaucoup de ruse et de malice. Mais Jack eut aussi l’occasion de découvrir que le Diable a la rancune tenace. Après sa mort, et puisque le Paradis ne voulait pas de lui, il se présenta tout naturellement devant la porte des Enfers. Le Diable vint en personne lui en refuser l’entrée, condamnant le bougon personnage à errer dans le noir pour l’éternité.

Jack parvint toutefois à convaincre le Diable de lui donner un morceau de charbon, qu’il installa dans un navet creux pour l’embrasser et s’en faire une lanterne.Voici comment est né « Jack of the Lantern » (Jack à la lanterne), dont le nom allait devenir rapidement Jack O’Lantern, car même mort un Irlandais demeure un Irlandais. Et à l’image de certains carrosses, le navet allait finir par se transformer en citrouille.

Jack est mort une nuit de 31 octobre, la veille de la Toussaint, ou en anglais « all hallows eve », soit… la nuit d’Halloween. Et Jack revient chaque année, la nuit de l’anniversaire de sa mort, hanter un petit temps les vivants, avant de retourner dans les ténèbres dont sa vie dissolue et ses impertinences l’ont fait prisonnier.20131031 halloween3

C’est ici l’une des nombreuses légendes accompagnant Halloween, une fête unique en son genre, qui tire ses origines tant de rites païens que du christianisme pur et dur, son nom étant lui-même d’inspiration chrétienne. Il est de fait toujours périlleux de clamer, ainsi que le font certains, que cette fête n’appartient pas à notre folklore européen : nul doute qu’elle était présente sous une forme ou une autre dans nos contrées bien avant l’apparition même du monothéisme. Elle l’avait cependant désertée depuis belle lurette pour prendre ses aises en Amérique du Nord, alors pourquoi ce retour sur notre sol ?

Non mais, Halloween quoi !

En 1978, lorsque John Carpenter réalisa Halloween, œuvre mythique qui donna le la à toute la veine des « slashers » (films de tueurs masqués) du cinéma d’épouvante des années 80, le film sortit sur les écrans français sous le titre La Nuit des masques, une voix française prenant soin de donner une définition d’Halloween, « fête religieuse anglo-saxonne » rappelant « par certains aspects (…) notre Mardi-Gras ». Tout le long du film, il ne sera plus fait mention que de « veille de la Toussaint », le mot Halloween étant banni des dialogues français.

Trente ans plus tard, le remake du film, signé Rob Zombie, sera exploité en France sous son titre original, et aucune voix-off n’éprouvera le besoin d’expliquer de quoi retourne cette fête. Une façon comme une autre de mesurer le chemin parcouru !

20131031 halloween2Pour expliquer cette réimplantation, la théorie mercantile est évidemment la première à prendre en compte. Jugeant qu’il manquait, entre les grandes vacances et la Noël, d’occasions de faire dépenser plus d’argent que de coutume aux consommateurs que nous sommes, les stratèges de la grande distribution identifièrent Halloween comme une fête intermédiaire idoine à remplir cet objectif. Il eût été plus difficile de nous faire avaler la dinde de l’Action de grâce, ou Thanksgiving pour les anglophones, l’Europe ne s’étant pas construite sur la dépossession de terres indiennes.

De plus, la mentalité française avait suffisamment évolué pour accueillir dans son ensemble de manière favorable une fête d’allure aussi « lugubre » qu’Halloween. Tim Burton, réalisateur à l’univers baroque et cauchemardesque, n’avait-il pas séduit le grand public dès Beetlejuice, film qui aurait probablement rencontré un succès très confidentiel vingt ans plus tôt ? Toute une génération ayant intégré les codes de l’épouvante venait d’arriver à l’âge adulte : Halloween ne pouvait que faire son petit effet.

L’opération fut-elle une réussite ? Il semblerait que non, si l’on en juge à la situation actuelle. Les grandes surfaces ne consacrent plus qu’une parcelle ridicule de leurs rayons à l’Halloween, quand elles ne choisissent pas purement et simplement de l’ignorer. Mieux encore : on trouve déjà, dans de nombreux commerces, la débauche de chocolat qu’occasionne les fêtes de fin d’année. Comme si, pour mieux « tuer » Halloween, certains commerçants décidaient de faire démarrer Noël avec deux mois d’avance.

Ne t’en fais pas Jack, tout ira bien

Pourquoi tant de haine ? Parce que la sauce commerciale n’a pas prise. Très sensibles à cette fête qui leur permet de se déguiser et d’aller demander des bonbons à des inconnus, ce qui leur est rarement recommandé le reste de l’année, les enfants ont adopté Halloween avec enthousiasme, le succès de Harry Potter ou des Chair de Poule les motivant d’autant plus à se grimer en sorcières ou monstres de toute sorte. Mais les parents, s’ils ne rechignent pas à l’idée d’aider leurs enfants à se déguiser, n’en ont pas pour autant éprouvé le besoin de dépenser des mille et des cents dans cette aventure.

Halloween est-elle la Noël du pauvre ? Loin des fastes de décorations que l’on observe outre-Atlantique, elle est en tout cas une fête que la France semble bien décidée à se réapproprier sans se laisser dicter par la grande consommation sa manière de l’aborder. C’est peut-être cela que la grande distribution n’accepte pas. De voir des enfants déguisés, jouer aux démons dans les rues, et se réjouir d’une fête qui ne rapporte rien, ou pas assez. Et la voici bien décidée à ne pas la laisser prendre racine, puisque ses fruits ne lui semblent pas satisfaisants.20131031 halloween1

Mais au fait, Halloween, n’est-ce que pour les enfants ? Amusez-vous à creuser des citrouilles (ou d’autres fruits ou légumes) et à déposer une bougie dedans, et vous trouverez dans l’innocent accomplissement de ce rite empreint de paganisme autant de plaisir et de beauté qu’en décorant le sapin de Noël, autre cérémonial païen par excellence. Avec un avantage supplémentaire : la soupe de citrouille est succulente et promet une soirée enjouée entre amis, avec si possible film d’épouvante ou musique de circonstance ! Tandis que les aiguilles des résineux sont, de leur côté, parfaitement indigeste.

Et n’oubliez pas de prévoir quelques bonbons de côté, au cas où petits démons, vampires ou zombies viendraient frapper à votre porte. Soyez prêts à recevoir les esprits des morts, qui ne vous veulent aucun mal et profitent juste de cette nuit pour saluer ceux qui les aiment. Et gardez sous le coude, peut-être, une bouteille de whisky. On ne sait jamais ni où, ni quand, le vieux Jack choisit de passer, mais l’on se doute qu’il n’est pas homme à prendre un non pour une réponse.