Immersion d’un journaliste chez Amazon : « En Amazonie » de Jean-Baptiste Malet

Dans le livre En Amazonie, infiltré dans le « meilleur des mondes », Jean-Baptiste Malet décrit les conditions de travail dans les entrepôts de la multinationale Amazon, numéro un mondial du commerce sur Internet. N’ayant pas accès aux informations par les voies de presse habituelles, le journaliste a choisi de s’infiltrer chez Amazon à Montélimar en tant qu’intérimaire pendant le pic d’activité des fêtes de fin d’année. Il nous décrit son expérience dans un livre réaliste, captivant et dénonciateur.

Amazon leader mondial
La société a été lancée en 1995 aux Etats-Unis. Aujourd’hui, elle possède 75 entrepôts dans le monde dont trois en France. Le PDG d’Amazon, Jeff Bezos, a été élu homme d’affaires de l’année 2012 par le magazine Fortune. Cette même année, le chiffre d’affaires d’Amazon était de 61 milliards de dollars (environ 45 milliards d’euros). Le chiffre prévisionnel pour 2016 est de 1000 milliards de dollars. 300 articles sont vendus par seconde pendant les fêtes de Noël aux Etats-Unis et le record de produits envoyés de Montélimar est de 110000 en un jour.

Amazon despote salarial
Jean-Baptiste Malet décrit tout le processus d’embauche : boîte d’intérim, réunion d’information et tests où la direction insiste sur les idées contradictoires de pénibilité et d’opportunité. Le journaliste passe toutes les étapes avec succès et se retrouve intérimaire à la semaine : chaque semaine, on lui annonce le samedi pour le lundi s’il fera une semaine de plus. Son arrivée sur le site et son immersion sont marquées par la devise de l’entreprise : « Work hard, Have fun, Make history ».
Work hard : le travail est effectivement très pénible. Ceux qui amènent les produits à l’emballage, les « pickers » circulent à pied dans l’entrepôt et réalisent chaque jour plus de 20 km de marche (l’entrepôt correspond en surface à cinq terrains de foot). Les temps de pause sont très courts et les « amazoniens », tous envisagés comme des voleurs potentiels, sont contrôlés très fréquemment par l’équipe de vigiles. Mais le plus oppressant reste sans doute le fait que la productivité de chaque salarié est analysée minute par minute et avec l’idée que cette productivité doit être en constante augmentation. A la moindre baisse d’activité, le salarié reçoit un message d’alerte sur le scanner qui lui sert d’outil de travail. La pression est très grande et la fatigue extrême.
Have fun : comme le dit la responsable du recrutement : « un autre point positif [en plus du tutoiement], c’est qu’on s’éclate. Le PDG ne veut pas que l’on arrive la boule au ventre. » L’entreprise organise diverses activités et jeux pour détendre les salariés : chasse aux oeufs à Pâques, repas de Noël, quiz en salle de pause…
Make history : il s’agit de faire penser au salarié que c’est grâce à lui et à sa productivité croissante que l’entreprise restera leader mondial du commerce sur Internet.

Amazon destructeur culturel
En plus de son immersion, Jean-Baptiste Malet soulève des questions plus globales.
En 2004, le SLF (Syndicat de la librairie française) a assigné Amazon en justice pour non respect de la loi Lang, de vente à perte et de concurrence déloyale. En effet, la remise sur un livre ne peut être que de 5% maximum et avec les bons d’achats et la livraison gratuite, les librairies indépendantes ne peuvent lutter. Amazon a été condamné à 100000 euros de dédommagement (ce qui est dérisoire par rapport à leur chiffre d’affaires) mais la livraison gratuite n’est pas reconnue comme contraire aux lois du commerce. Amazon ne paie pas le fisc : celui-ci a réclamé son dû en 2012 soit 198 millions d’euros. L’entreprise se déclare comme luxembourgeoise. Enfin, Amazon a reçu 1,5 million d’aides de l’Etat pour l’ouverture de l’entrepôt de Chalon. Des emplois sont créés (principalement des intérimaires chez Amazon) mais beaucoup disparaissent (les libraires). Localement, la fermeture de la librairie Arthaud à Grenoble supprimerait plus de 40 emplois.
Amazon vend de tout : livres, jeux, téléphones, aspirateurs… Jean-Baptiste Malet a constaté comment les produits sont classés dans l’entrepôt : des partitions de Chopin peuvent cotoyer un livre pro-nazi. Chaque article est un produit à vendre et perd toute valeur culturelle.   

Le livre En Amazonie est une description intéressante de la situation interne et des conséquences externes d’Amazon. Jean-Baptiste Malet créé aussi du suspense : combien de temps tiendra-t-il ? Se fera-t-il repérer ? Arrivera-t-il à prendre contact avec les syndiqués ? Il est le premier en France à réaliser une telle immersion. Il a su en tirer une histoire personnelle et collective. Le constat est réaliste, un peu amer mais nécessaire. 

 

En Amazonie : infiltré dans le « meilleur des mondes », Jean-Baptiste Malet, Fayard, 2013, 15 euros
Disponible à la bibliothèque Kateb Yacine (Grand Place)

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