Jeux vidéo : qui est aux manettes ?

Le jeu vidéo questionne, fascine et quelquefois effraie les non-joueurs, et la presse relaye les pires rumeurs ou les théories les plus fumeuses. Dans son ouvrage Jeux vidéo : hors de contrôle ?, Olivier Mauco revient sur cette construction de l’image, positive ou négative, du jeu vidéo.

Sans avis médical

Il fut un temps où Sega et Nintendo régnaient en maître sur l’univers des consoles de jeux vidéo, autant dire sur l’univers de jeux vidéo tout court, ces plate-formes ludiques étant les plus répandues parmi les joueurs du monde entier. L’image du jeu est contrôlé par les constructeurs eux-mêmes, à travers la publicité. Chaque marque impose ainsi son univers et son ambiance. Et s’il est considéré comme un loisir mineur, le jeu vidéo n’est pas encore considéré comme dangereux.

Une première inquiétude surviendra au début des années 90, à la suite des crises d’épilepsie dont seront victimes quelques joueurs, un phénomène parfaitement infime qui suscitera cependant les raccourcis et les psychoses les plus aberrantes, les jeux vidéo se retrouvant soudain accusés de rendre la jeunesse épileptique, quand ils ne sont jamais qu’un possible facteur déclenchant comme il s’en trouve des dizaines d’autres dans un environnement urbain classique.

Cette polémique ne sera qu’un préambule aux condamnations morales dont le jeu vidéo se verra gratifié dans les années suivantes, et qui mèneront à un phénomène largement mis en avant par Olivier Mauco dans son ouvrage : le fossé creusé entre joueur et non-joueur, illustré par celui qui sépare presse généraliste et presse spécialisée.

Familles, je vous hais

« Il pleut du sang sur nos écrans vidéos » écrit sans aucune retenue L’Express en 1998, lorsque la question de la violence et de son lien supposé avec la pratique vidéo-ludique est posée, dans un climat de peur généralisée que Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l’Intérieur, illustrera à merveille en évoquant les « sauvageons », transformant la France en jungle inhospitalière le temps d’une psychose collective.

C’est alors que surgira dans les médias l’association « Familles de France », qui mènera une véritable croisade contre l’industrie du jeu vidéo, en usant de méthodes et d’un vocabulaire qui ne sont pas sans rappeler Frigide Barjot, Béatrice Bourges ou Christine Boutin. Considérant que les mineurs peuvent trop facilement accéder aux jeux violents censés être réservés à des joueurs adultes, l’association réclame entre autres un circuit de vente plus restrictifs pour certains jeux, soutenue en cela par… les vendeurs indépendants, qui souffrent de la concurrence des grandes surfaces de vente.

L’audience donnée à l’association dans les médias est étonnante et la presse spécialisée ne peut que déplorer, critiquer, éreinter les errements de la presse généraliste et les outrances des journaux télévisés, tout en essayant de rétablir un équilibre. Dans un entretien avec Dominique Marcilhacy, militante anti-avortement et vice-présidente de Familles de France, le journaliste de Generation4 s’entend dire : « c’est une caractéristique psychique des informaticiens et des gens comme vous de ne plus arriver à faire la part des choses, à définir ce qui est bien et ce qui est mal »…

Fini de jouer ?

Ce débat, ce combat, légitime dans le fond mais absurde dans la forme, mettant en scène des acteurs souvent caricaturaux et aboutissant à des dialogues de sourds, véritable montagne qui accouchera d’une souris, est relaté, analysé par Olivier Mauco dans Jeux vidéo : hors de contrôle ? avec sérieux et objectivité. Que les amateurs soient avertis : le style est précis, universitaire, exigeant. Mais ce regard avisé et détaillé est bien souvent passionnant et nous rappelle les origines de tout un état d’esprit caractéristique de notre société actuelle.

À l’heure où le jeu vidéo, industrie florissante et toute puissante, a cessé d’être l’objet de critiques systématiques tant il pèse du point de vue financier, et que la sortie d’un GTA V est saluée par la presse généraliste qui remise au placard ses condamnations morales pour s’extasier devant les chiffres de vente de l’éditeur, il est intéressant de revenir sur ces années où l’on considérait le joueur comme un malade, voire une victime. Et de se demander si l’unanimité, qu’elle aille dans un sens ou dans l’autre, a réellement un sens, si ce n’est celui de donner à son lecteur ce qu’il a envie de lire.

Jeux vidéo : hors de contrôle ?
Olivier Mauco
Éditions Questions Théoriques
162 pages, 12,50 €