L’art de vivre

Scott McCloud nous offre dans son dernier ouvrage, Le sculpteur, une réinterprétation moderne et virtuose du mythe de Faust : l’homme qui passe un pacte avec le diable en le payant au prix ultime.

Quelques images hors de leur contexte qui s’entremêlent : une femme dévêtue, les yeux souriants, un homme en fin de chute, un public avide de ce spectacle, puis un moment d’intimité poignant entre deux amants. C’est un flash-back de deux cent jours qui s’ensuit, qui reprend le fil de l’histoire et se jette – et nous avec – dans un compte à rebours haletant. C’est ainsi que commence ce roman graphique, à mi-chemin entre onirisme et fracassante réalité.

David Smith, artiste raté, ivre et fauché, se révèle au fil des pages un homme hanté par le passé, angoissé par un futur a priori sans espérance. Un personnage tout ce qu’il y a de plus humain, dont le nom est d’une banalité presque affligeante, mais dont le destin ne l’est guère : la magie s’opère et ce roman bifurque, nous emmenant dans une quête effrénée d’art, de sens, de sensations, d’amour, d’immortalité, de vie. Toutes ces choses qui n’ont pas de prix mais qui coûtent cher quand elles résultent d’un pacte avec le diable.

Et puis c’est le temps qui est passé, qui passe, et qui passera potentiellement. Il s’accélère ici, ralentit là et s’arrête complètement sur image à d’autres moments. De coups de pouce illusoires du destin aux renversements de situation qui oscillent entre le rêve et la réalité, en passant par un twist final inimaginable, le personnage principal nous emmène dans un champ d’émotion d’une inouïe richesse : impuissance, passion, stupeur, amour, trahison, exaltation…

Le coup de crayon, noir, est réaliste à souhait, et sert les dialogues avec finesse et habileté. C’est toutefois quand l’image est seule qu’elle prend toute son envergure. Les mots ne sont plus nécessaires pour traduire les émotions et l’on en prend littéralement plein les yeux. Le scénario, intrigant et intransigeant, nous dévoile toute la complexité des divers personnages, que l’on voit tour à tour au bout du gouffre ou bien exaltés.

Cette BD fantasque nous saisit à la gorge et nous plonge – de gré ou de force – dans une recherche de sens de la vie, mais aussi et surtout de la mort, inéluctable, impitoyable et imprévisible.


Le scultpeur
Scott Mc Cloud
Traduit de l’anglais par Fanny Soubiran
aux éditions Rue de Sèvres
496 pages, 25€