La rage au coeur

La rage est son énergie, celle de John Lydon, une voix et un caractère unique dans l’histoire de la musique rock, punk et post-punk anglo-saxonne, qui livre aujourd’hui ses mémoires.

Pionner punk

En 1976, le monde faisait la connaissance de Johnny Rotten – ou « Johnny le pourri » –, chanteur charismatique des Sex Pistols. Scandales et provocations émailleront la carrière éphémère mais remuante du groupe punk londonien, versant sale et juvénile des très politisés Clash. Et les critiques, même en se pinçant parfois le nez, ne manqueront pas de signaler l’originalité d’un chant égal à nul autre, dans lequel Rotten exprime son ironie mordante en tordant ses lignes vocales, en portant ses textes avec une conviction outrancière.

Dégoûté par le manager des Pistols, l’escroc professionnel Malcom MacLaren, Johnny Rotten quittera le groupe pour redevenir John Lydon et fonder Public Image Limited, PiL pour les intimes. Groupe phare de la scène post-punk, pratiquant une musique déstructurée à la confluence de tous les genres, PiL est loin du rock agressif et provocateur d’où provient l’ancien chanteur des Sex Pistols, ce qui déconcertera les fans de la première heure.

L’autre, c’est lui

Pour autant, y a-t-il un Docteur Lydon et un Mister Rotten ? Cette idée, John Lydon la rejette en bloc dans son autobiographie. Il se présente comme un tout, un seul et même être, doué d’une très forte conscience de lui-même. C’est le même homme qui chante Anarchy in the UK et Rise, le même qui profère des insanités à la télévision britannique et participe trente ans plus tard à une émission de télé-réalité. John Lydon et Johnny Rotten ne font qu’un, et c’est déjà beaucoup pour un pareil personnage.

Celui qui a souvent lu ou vu des entretiens avec Lydon au fil des années était en droit de s’attendre à des mémoires « coup de poing », en particulier quand celles-ci s’intitulent La Rage est mon énergie. L’artiste a connu tant de déboires avec ses confrères pas toujours confraternels, avec les journalistes, avec les maisons de disque également, que l’on pouvait craindre un long chant de haine et de colère. Il n’en est rien. Lydon ne se cache pas derrière son petit doigt, ne passe pas sous silence toutes les inimitiés qu’il a subi ou fait subir, mais ne cherche pas à régler ses comptes pour autant. Tout au plus à remettre certaines pendules à l’heure.

Monsieur Rotten fait avant tout la démonstration de son sens profond de l’empathie. La façon qu’il a de parler des autres est étonnante, profondément singulière. Sans faire de l’amour de son prochain une devise personnelle, il manifeste une farouche volonté de comprendre l’autre et fait parfois preuve d’une grande mansuétude. Ce qui ne l’empêche pas de savoir taper du poing sur la table, voire ailleurs, lorsque l’autre en question prétend lui marcher sur les pieds.

God save Johnny Rotten

Une chose est certaine : John Lydon n’est pas homme à s’enfermer dans des clichés ou des a-priori, et ne se positionne pas en gardien intransigeant d’un temple Punk sclérosée, refusant de se mélanger avec d’autres genres ou d’autres artistes. Même Paul McCartney, qu’il n’a pas toujours épargné dans ses interviews, finira par trouver grâce à ses yeux au hasard d’une rencontre. Quant à la disco, il n’en parle qu’avec amour et admiration. Mais Sid Vicious n’était-il pas lui-même un grand fanatique d’Abba ?

Que l’on soit ou non amoureux des Sex Pistols ou connaisseur de la discographie – pour le moins dense et parfois difficile d’accès – de PiL, on trouvera intérêt à lire les paroles d’un artiste d’exception, l’une des personnalités les plus fortes de sa génération. Aussi galvaudé soit ce mot aujourd’hui, c’est bien avec générosité que Lydon s’adresse au lecteur : lorsqu’il confie sans fard les secrets de fabrication de ses chansons, lorsqu’il évoque sa vie de couple et de famille, ses amis, ses ennemis ou ses relations d’affaires. Le chanteur n’a pas sa langue, ni son ego, dans sa poche, et l’ouvrage qui en ressort est aussi fluide que passionnant.

20150106 larageestmonenergie2La Rage est mon énergie
de John Lydon avec Andrew Perry
Traduit de l’anglais par Marie-Mathilde Burdeau et Marc Saint-Exupéry
Éditions du Seuil
718 pages, 25 €