L’Année du Gorafi

Pour bien, ou mieux, commencer l’année, les éditions Denoël publient une anthologie des meilleurs articles parus en 2013 sur cet OVNI internautique qu’est le Gorafi.

Goral al factutom

Site satirique et pastiche créé en 2012, le Gorafi propose chaque jour aux internautes des articles parodiant, avec un sens aigu de l’humour noir et du non-sens, l’actualité et son traitement journalistique. Conçu pour ressembler à s’y méprendre à un véritable site d’informations, tant en matière de présentation que de contenu stylistique, le site apparaît autant comme un joyau de drôlerie que comme une mise en abyme, souvent mordante, du monde médiatique.

Une réussite si complète qu’il arrive quelquefois que les informations du Gorafi soient prises au sérieux. Ainsi, la page « actualités » de Google relayera un temps, parmi les articles du Parisien ou du Monde, la nouvelle selon laquelle la police aurait découvert plusieurs cadavres enterrés dans le jardin de Nathalie Kosciusko-Morizet. Quant à l’article révélant qu’un homme a été criblé de balles à Toulouse pour avoir demandé un pain au chocolat plutôt qu’une chocolatine, il ne manquera pas de provoquer des commentaires indignés de la part d’internautes déplorant la montée de la violence dans nos villes et nos campagnes.

Que certaines ou certains puissent ainsi tomber dans le panneau soulève la question de la crédibilité d’Internet et de la crédulité des internautes. Au moyen-âge voire à la Renaissance, on considérait l’écrit comme vrai de facto. Aujourd’hui, alors que l’imprimé ne suscite plus que scepticisme, la parole de la toile semble considérée par beaucoup comme automatiquement digne de foi. Wikipedia fait autorité (alors que l’encyclopédie libre n’a jamais eu cette prétention) et n’importe quelle rumeur lancée par des sites conspirationnistes et relayée par les réseaux sociaux imprègne un nombre effarant d’esprits. C’est aussi cela que le Gorafi, incidemment ou volontairement, met en relief : la facilité avec laquelle on peut donner à n’importe quelle information l’apparence du vrai.

« Sans liberté de blaguer… »

Au-delà de ces considérations, feuilleter ce « best-of » du Gorafi que Denoël nous propose est aussi et surtout l’occasion de sourire ou s’esclaffer sans retenue devant l’esprit, l’originalité et le talent de ses rédacteurs. Titres après titres, c’est une petite percée salutaire dans un univers parallèle que nous propose l’ouvrage.

Si l’absurde est à l’honneur (on apprend qu’un homme ayant tenté de vivre un an sans respirer est mort d’asphyxie au bout d’une minute), les auteurs ne manquent jamais d’égratigner la sphère audiovisuelle (en annonçant par exemple que l’écharpe de Christophe Barbier met fin à sa collaboration avec le journaliste), politique (Jean-Luc Mélenchon obtenant le statut d’intermittent du spectacle grâce à son dernier meeting), sportive (un supporter courant aux côtés des cyclistes du Tour de France contrôlé positif à l’EPO) ou culturelle (les vigiles du Salon du Livre prêts à repousser toute tentative d’intrusion de Guillaume Musso).

Chacun en prend pour son grade dans cette valse satirique qui moque tout autant les travers du quotidien, le monde du travail, la vie sentimentale, que les déboires de la planète, des plus graves aux plus légers. Agrémentés de dossiers percutants et de brèves hilarantes et inédites, L’Année du Gorafi est la plus saine des lectures que l’on puisse recommander à quiconque ayant envie de lire quelque chose d’intelligent.

20140128 gorafi1L’Année du Gorafi
Éditions Denoël
250 pages, 14 €