Yves Berthuin : le RSA en questions

La réforme du dispositif RSA est en pleine préparation. Christophe Sirugue, député socialiste de Saône-et-Loire, a présenté son rapport indiquant des propositions d’aménagement de la mesure. Qu’en pense Yves Berthuin, directeur-adjoint à la Direction de l’Insertion et de la Famille au Conseil général de l’Isère ? Le Bon Plan l’a rencontré.

A-t-on, à votre avis, besoin d’une réforme du RSA ?
On a besoin d’une reforme notamment sur la partie RSA-activité. A l’origine, le RSA-activité était pensé pour aider les gens qui ne gagnent pas assez pour vivre tout en travaillant. Or, on estime que le taux de non recours est de 68% au niveau national. En Isère, où il y a sept mille foyers d’allocataires, on devrait en avoir au total plus de 21 000 ! Donc le dispositif ne remplit pas son objectif initial.

Quelles sont les raisons majeures de ce non-recours ?
D’abord un problème d’information parce que le RSA est quand-même un dispositif compliqué.
La deuxième raison, c’est la complexité du dossier. Quand on travaille, on doit faire les déclarations trimestrielles des ressources, alors que les salariés non-allocataires ne font qu’une déclaration de ressources annuelle : cela peut décourager.
Et puis le dernier point qui est tout aussi important : la stigmatisation. Les gens qui travaillent même à mi-temps n’ont pas envie d’être assimilés à des personnes qui touchent le RSA. On me l’a dit clairement et c’est bien dommage parce que cela veut dire que le RSA, comme le RMI, est toujours stigmatisant. En lisant le rapport de Christophe Sirugue, il est évident qu’une des raisons de la réforme est arrêter la stigmatisation. Il propose d’appeler le RSA-activité « prime d’activité ». Pour faire simple, quand on travaille, on touche cette prime. Dans l’esprit des gens cela peut changer quelque chose. Mais il faut toujours continuer à expliquer que quand on est au RSA (quel que soit son nom), on n’a pas envie d’y rester toute la vie.

« En même temps, le principe du RSA-activité est discutable sur le fond. Pareil pour la prime d’activité. Comment ça se fait, alors qu’on travaille, qu’on soit obligé d’avoir une allocation des fonds publics pour vivre. Le travail devrait nous permettre de vivre normalement. » (Yves Berthuin)

Dans le projet, une fois qu’on a rempli les conditions pour l’attribution de la « prime d’activité », on y a droit pendant une année entière.
Oui, c’est ce que j’ai vu. On l’accorde pour un an. Le montant ne change pas mais on continue à déclarer tous les trois mois, peut-être pour prouver qu’on travaille.
Le grand avantage est qu’il n’y aurait plus d’indus. Et les indus, c’est un grand problème du RSA actuellement. Ils sont liés au système de l’emploi. En effet, il y a un décalage entre les déclarations trimestrielles de ressources et le fait que les emplois soient des contrats très courts. Ainsi, si vous prenez un emploi d’un mois, la correspondance des périodes peut se déconnecter et cela crée un enchainement infernal d’indus.
Alors que le RSA aurait dû sécuriser les ressources, ce n’est pas le cas ! C’est un défaut qui pourrait être en partie corrigé par cette réforme.

Le rapport critique l’actuelle prime pour l’emploi. Il s’agirait d’un « saupoudrage de la dépense publique ». Il lui reproche aussi « un ciblage insuffisant des publics bénéficiaires ». Mais est-ce que le nouveau RSA (prime d’activité) ne peut pas aboutir à la même chose…
Oui, ça va être pareil, ça a tout l’air d’être le même système. En plus en pratique, 7 millions de personnes seraient éligibles à la prime d’activité. Et elle serait versée par les CAF. Donc si les 700 000 dossiers du RSA-activité actuels passent à 7 millions, comment les CAF vont-elles pouvoir gérer ?

…étant donné qu’elles ont des difficultés déjà aujourd’hui…
Oui ! D’ailleurs, le rapport n’exclut pas à moyen ou long terme un basculement de gestion sur Pôle emploi. Mais que ce soit Pôle Emploi ou les CAF, cela m’inquiète un peu en terme de charge de travail. Le rapport prévoit de la mettre en place en 2014. Mais on sait bien que toutes ces réformes, ne serait-ce que pour réformer tous les outils de la CAF, prennent beaucoup de temps. Il n’y aura rien en 2014 !

Est-ce que quelque part il ne serait pas mieux de réformer uniquement la mise en place du RSA-activité, sans changer tout le dispositif ?
Je ne sais pas. Il est clair qu’il faut toujours beaucoup de temps pour que les choses fonctionnent. Par exemple pour le RMI, il a fallu quand même dix ans, et là on est 4 ans après l’instauration du RSA et tout le monde n’a pas encore les réflexes…on voit les problèmes que ça pose, l’organisation, etc.

Qu’est-ce que vous pensez du scénario choisi ?
Parmi les scénarios envisageables, c’était celui-ci qui a essayé de répondre au plus grand nombre de questions. Par rapport au fait de sortir du RSA, de maintenir quand même une aide aux « travailleurs pauvres »… Sachant que pour le Smic, d’après ce que j’ai noté, une personne seule aurait 80 euros par mois, et une personne à 70% du Smic aurait 215 euros par mois [le maximum, NDLR]. Ce qui est nouveau est que la prime d’activité serait individualisée. On ne calculerait plus les revenus par foyer en fonction du nombre de personnes. Comme on compte uniquement par rapport à des personnes adultes, un parent isolé y perdrait. C’est pour cela qu’on sera obligé de rajouter un petit morceau pour les familles monoparentales, une part RSA pour l(es) enfant(s).

D’ailleurs, les montants ne sont pas mirobolants (la prime d’activité maximum correspond à 215 euros par personne), on peut donc se questionner sur l’impact de cette prime dans le budget des allocataires.
D’un autre point de vue, nous avons eu un débat avec des élus qui ont reflété les avis d’une partie de population : reprendre un travail pour des salaires relativement faibles, ça ne vaut pas le coup par rapport à rester au RSA.
Mais on peut démontrer qu’il y a un gain net. Mais il est vrai que si on y ajoute d’autres dépenses liées à l’emploi. Trajet, déjeuner tous les jours…, ça peut vite devenir moins facile à comparer…

… sans compter de nombreuses choses, difficiles à comptabiliser, qui sont gratuites quand on est au RSA…
Oui, la gratuité a toujours fait débat. On se disait à l’époque qu’il faudrait repenser cette gratuité automatique qui non seulement est assez stigmatisante mais aussi ne correspond pas à l’esprit du RSA. Il faudrait par exemple qu’il y ait des tarifs préférentiels dépendant des revenus de la même façon que le RSA.

Mais ceci a l’air très compliqué à mettre en œuvre…
Oui, on ne peut pas demander à tout le monde d’aller calculer ça ! Mais d’ailleurs, ce n’est pas que cela. Certains allocataires ont par exemple demandé une carte d’allocataire du RSA qui permettrait d’avoir ces tarifs réduits. Ce qui serait certes, encore une fois, stigmatisant, mais qui éviterait de montrer toujours cette feuille d’allocataire de la CAF qui comporte plusieurs informations personnelles.

J’ai noté une déception des allocataires avec lesquels je me suis entretenue, par rapport à l’accompagnement …
On a essayé de coller l’accompagnement le plus possible à la situation des personnes. C’est pourquoi on a prévu trois parcours : social, recherche d’emploi autonome, accompagnement renforcé… cela permet de ne pas mélanger le social et la recherche d’emploi. Ensuite, on a choisi de ne pas arrêter l’accompagnement tout de suite à la sortie du dispositif RSA. On a déterminé un délai de 6 mois pendant lequel le référent peut continuer à accompagner un allocataire pour que le passage soit plus souple.

Il faut dire que par rapport à la communication importante que le Conseil général fait sur l’accompagnement des bénéficiaires du RSA, certains parmi eux peuvent avoir des attentes disproportionnées…
Oui, l’accompagnateur peut ouvrir quelque portes mais ce n’est pas lui qui va faire les démarches à la place de la personne. Nous, ce qu’on a comme retour, c’est que les gens qui ont eu un accompagnement renforcé en sont généralement très satisfaits. Même s’il est vrai que tout dépend aussi de la masse d’allocataires : sur un territoire où il y a moins d’allocataire du RSA que dans l’agglomération grenobloise, l’accompagnement peut être plus de proximité. Et surtout, il y a un grand problème au niveau de l’emploi qu’aucun référent ne peut résoudre !

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