Grenoble a la réputation d’avoir été pionnière dans le champ de l’action sociale. D’initiative privée ou municipale, les expérimentations menées dans la capitale des Alpes remontent au XIXe siècle et sont peu connues des grenoblois. Sait-on que la toute première mutuelle a vu le jour à Grenoble en 1803, initiant ce vaste mouvement de structuration de la solidarité, constitutive de l’économie sociale et solidaire ? Retour sur cette histoire passionnante avec l’Association alimentaire de Grenoble…
Le 5 janvier 1851, F. Taulier, maire de Grenoble, inaugure l’Association alimentaire, premier restaurant sociétaire, dont il est le principal promoteur, soutenu par quelques notables et petits patrons acquis aux idées réformatrices de l’époque.
Il vise à améliorer le sort des ouvriers en leur proposant à prix modeste une alimentation de qualité à emporter ou consommer sur place.
Basé sur un régime d’entraide hérité de l’esprit mutualiste qui a fleuri au début du siècle, ce système réfute le principe jugé humiliant de l’aumône, qui doit être réservé aux seuls indigents. Il s’agit de restituer leur dignité aux ouvriers en les responsabilisant et de substituer à la logique d’assistanat une logique de solidarité.
La viabilité du projet repose sur la souscription des notables qui assurent l’assise financière du restaurant dans le respect de ce principe de solidarité, synonyme d’égalité.
Le prix d’acquisition de la carte de sociétaire a volontairement été fixé très bas. Elle permet d’obtenir à moindre coût des jetons, distincts selon la famille de produits représentée, destinés à être échangés contre des plats.
La consommation sur place se fait selon une formule de libre-service, dans l’une des trois salles du restaurant, la première réservée aux hommes célibataires, les deux autres aux femmes seules et aux familles. Un certain ordre moral est ainsi respecté.
Il est demandé aux convives de s’abstenir de toute conversation bruyante, la consommation de vin doit être parcimonieuse et toute discussion d’ordre politique ou religieuse est proscrite.
Controversée dans les milieux conservateurs, qu’ils soient politiques ou confessionnels, l’Association alimentaire de Grenoble fait rapidement des émules et sert de modèle à d’autres types d’expérimentations. Son extraordinaire longévité (1851-1911) fait figure d’exception. Elle tient à la fois à la structure industrielle de Grenoble (petits ateliers incompatibles avec le patronage), et au terreau mutualiste ayant favorisé l’émergence des nombreux réseaux de sociabilité unissant ses défenseurs.