Le roman noir, une littérature de la rue

Au début du XXe siècle le roman était policier, ainsi ceux d’Agatha Christie : un crime a été commis dans la haute société, une personne enquête et dans les dernières pages on découvre que la servante est coupable. Dans les années 20, de nouveaux auteurs états-uniens bousculent ces romans à énigme.
Ces auteurs écrivent des « hard boiled story » (romans des durs à cuire) appelés romans noirs en France en 1944. Le plus connu est Dashiell Hammett (auteur de « Moisson rouge », « Sang maudit »…) Tout change : on ne cherche plus seulement à savoir si le colonel Moutarde a tué X avec le chandelier, on ne cherche plus seulement QUI a tué et COMMENT, mais aussi et surtout POURQUOI le crime a eu lieu. 
Avec ce POURQUOI, le social déboule, l’argent, les rapports de pouvoir, de sexe, entrent en jeu. Le crime ne sort plus de nulle part. De nombreux auteurs engagés s’engouffrent dans cette brèche : en parlant du crime, on expose la corruption politique, policière, les inégalités, la souffrance et toute cette violence sociale qui mène certains hors de la loi. C’est une littérature des bars enfumés, de la nuit, de la marge. Une littérature poisseuse et en colère. Pour Raymond Chandler, autre auteur de « hard boiled story », Hammett a « sorti le crime de son vase vénitien et l’a remis à sa place, dans le caniveau. »
Le héros n’est plus un policier, mais un détective souvent alcoolique et séducteur. Il n’est plus du côté de l’ordre, mais de celui qui paie. Loin de la morale bien-pensante, les limites entre policiers et gangsters, entre le bien et le mal, se font poreuses. L’écriture est au diapason, baptisée « behaviouriste » (comportementaliste), elle est efficace, directe, avec des phrases courtes, au présent. Des dialogues relancent le rythme qui devient primordial, l’action et le mouvement mettent à jour les fractures d’une société en crise nettement mieux que les discours et les descriptions.
En France, après Léo Malet et Jean Amila, une génération issue des barricades de Mai 68, tel que Jean-Patrick Manchette (« Nada », « Fatale »…), écrit des romans noirs pour dévoiler les failles du capitalisme. Ce courant, parfois nommé néo-polar, irriguera la littérature noire française des années 70/90 (Fajardie, JP Bastid, JB Pouy, Thierry Jonquet et de nombreux autres). Aujourd’hui le « noir » s’est diversifié, des thrillers de James Ellroy, Dominique Manotti aux romans intimistes de Marcus Malte, sans oublier (et en oubliant beaucoup) Alain Gagnol, AH Benotman, Laurent Martin, Caryl Ferey. Chacun cultive un univers personnel. N’hésitez pas à plonger dans ces eaux sales et noirâtres.