Les Femmes sur le devant de la scène

Grenoble accueillera la dix huitième édition du festival national « Les Femmes S’en Mêlent », du 22 au 28 mars. Rencontre avec Laurent Simon, co-organisateur.

 LBP: Par qui est organisé ce festival ?

Laurent Simon: Ce fut à la base crée par une association parisienne qui s’appelle « Les Femmes S’en Mêlent », dont le directeur est Stéphane Amiel, que je connais moi-même depuis 20 ans.

En découvrant la salle du Ciel à Grenoble, je me suis rendu compte qu’elle pouvait devenir un vrai outil, car elle possède un coté intimiste qui se prête parfaitement bien à l’écoute. On peut faire certaines choses dans ces esthétiques que l’on a du mal à retrouver dans les salles de « rock » dans lesquelles l’audience est aussi très présente pour faire la fête, boire des coups…C’est en tout cas le retour que nous recevons de la part des artistes, qui affectionnent particulièrement le Ciel : les gens sont posés, ils sont dans une démarche de découverte musicale et donc de qualité d’écoute.

Le lieu était particulièrement adapté à la démarche de « Les Femmes S’en Mêlent » (LFSM) et c’est ainsi que nous avons commencé à participer et à développer ce festival. Cette année, nous travaillons aussi avec la Belle Électrique, qui est une jauge beaucoup plus importante (900 places environ).
À Grenoble, nous co-organisons ce festival puisque nous sommes chargés cette année de produire toutes les dates de province (en plus de Grenoble) et de ce fait, nous co-programmons les dates de Grenoble, avec certaines artistes qui participeront au festival ici uniquement.

LFSM est un festival national. Pourquoi sa présence sur Grenoble est si développée ?

C’est effectivement un festival national, voire international puisqu’il y a eu des dates dans certaines capitales européennes et au Canada.

Depuis cinq ou six ans, Grenoble y joue un rôle moteur, dans le sens où c’est la ville qui produit le plus de dates et où le taux de remplissage de salles est le plus important. Une certaine osmose entre Grenoble et le festival s’est créée, et c’est lié au fait qu’au Ciel, nous sommes à environ 70, 80 pour cent d’artistes féminines. Ce festival est donc un peu la cerise sur le gâteau si j’ose dire, sur un travail fait tout au long de l’année d’offre d’un espace à la création féminine.

Malgré ce qu’on pourrait penser, on reste dans milieu un extrêmement masculin, voire machiste, où la part des femmes dans la création (comme dans l’aspect technique) est peau de chagrin : environ 20 pour cent d’une programmation sur des salles classiques. Il me semble complètement anormal qu’à cette heure-ci, compte tenu du nombre de créations, et surtout de leur qualité, les femmes aient globalement aussi peu d’accès aux scènes.

Ce qui explique que depuis deux ans, nous voulons donner une dimension beaucoup plus politique au festival. Stéphane Amiel, à Paris, et moi-même à Grenoble, noua avons toujours aimé les femmes qui chantent donc nous défendions cela. Depuis deux, trois ans, au vu de ce qu’il se passe dans le monde, il y va d’un enjeu de taille de s’intéresser à la place des femmes dans la création et les musiques « innovantes ».

Comment expliquez-vous cette inégalité ?

Je l’ignore. Nous sélectionnons entre 20 et 25 artistes. Nous recevons environ 250 à 300 demandes de participation à ce festival, donc il existe une vraie créativité féminine qui ne se répercute pas sur scène.
Pourquoi ce décalage ? Je n’en sais rien. Il n’en demeure pas moins que lorsque l’on veut consacrer une place, ou l’intégralité d’un festival à la création féminine, il n’y a aucun problème d’offre.

Comment se fait la sélection des artistes amenés à se produire pendant le festival ?

Nous bénéficions d’une promotion nationale importante, ce qui fait que nous pouvons nous lâcher encore plus que d’habitude. Le Ciel, en plus d’être une petite jauge, possède une fidélité d’audience qui me permet de prendre des risques dans la programmation ; on peut vraiment axer le festival sur la découverte.
Entre la promotion locale, nationale et l’attente de l’évènement, l’audience sera là. On peut vraiment se faire plaisir dans la mesure où il n’y aucune considération sur le remplissage de la salle. On va vraiment sur le coup de cœur.

Rentrent bien entendu d’autres considérations qui sont des considérations de coût : LFSM est un festival indépendant, non subventionné (en dehors des concerts de la capitale). Nous sommes donc ici sur des coûts de plateaux et de production relativement faibles. C’est aussi une volonté de notre part, puisque la philosophie du festival est vraiment fondée sur la découverte et sur des vrais paris, sans tête d’affiche.

Nous essayons de programmer ce festival par coups de cœurs communs, Stéphane Amiel et moi, mais nous gardons chacun des « jokers », puisque nous sommes chacun sur des problématiques très différentes : à Paris, il y a une offre pléthorique, mais en même temps, ils n’ont pas là-bas le confort que nous avons ici en terme de présence du public ; cela fait trois éditions que notre taux de fréquentation est à 100 pour cent. Mon seul critère à moi, c’est la qualité de ce que nous présentons pour qu’on ne perde pas notre public « captif ».

Le dernier facteur de sélection, c’est le timing de ces artistes. Si le buzz monte trop vite, les artistes deviennent beaucoup trop chers pour notre budget. Par exemple, le printemps dernier, nous étions très impressionnés et intéressés par FKA Twigs, qui a littéralement explosé entre juin et octobre dernier.
Nous sommes toujours dans cette optique de produire des artistes dont on parlera plus tard, puisque c’est aussi l’objet de ce festival, mais il ne faut les saisir ni trop tôt, ni trop tard. C’est en quelque sorte un jeu, qui est excitant en tant que programmateur !

À quoi ressemble la scène musicale grenobloise ?

Elle est très diverse et variée : la même répartition que dans les autres villes de France, beaucoup de rock et de pop. Des groupes comme Sinsémilia (reggae) et Gnawa Diffusion (wold music) sont en quelque sorte les deux arbres qui cachent la forêt, dans la mesure où il n’y a pas de spécificité typiquement grenobloise.
C’est une scène musicale qui manque clairement de femmes. En revanche, Grenoble bénéficie d’un public très équilibré.

Avez-vous vu une certaine évolution du rôle des femmes dans la musique ?

Oui. Elles osent plus, nous avons de plus en plus de femmes qui viennent seules, entourées de leurs machines. C’est une évolution qui est due aux progrès techniques (logiciel de composition de musique), mais qui est aussi liée à une question de coût.

Une des spécificités de ce festival, c’est que nous réalisons une recherche d’artistes sur internet : il y a en effet moins d’intermédiaires via des diffusions sur Youtube, souvent de personnes réalisant de la musique depuis leur chambre. Internet nous offre la chance d’une certaine mise en réseau, ce qui nous permet de faire appel à des artistes qui s’inscrivent dans des univers complètement différents.

Au-delà de ce qu’on voit dans la variété, la musique folk ou bien les émissions de téléréalité, les femmes sont de plus en plus présentes dans d’autres esthétiques : pop, rock, hip hop, musique électro…

Y a-t-il de votre part une volonté de faire connaitre des artistes locales ?

Ce n’est ni la volonté ni l’objet de ce festival. C’est le travail accompli tout le long de l’année par la régie. Cette année, nous avons choisi de donner un coup de pouce à Merry Diane, qui est le groupe local de cette édition.


Pouvez-vous m’en dire plus sur la programmation de cette année ?

Les artistes et groupes sélectionnés sont tout d’abord dans un projet qui doit être porté par une femme, dont le leader sera clairement féminin.

Cette année, nous avons eu la volonté de sortir de l’identité passée du festival avec moins de femmes qui viennent seules avec leurs guitares. Nous nous inscrivons pour cette édition, dans une démarche d’ouverture et de mise en avant de nouvelles propositions musicales et de projets de plus en plus atypiques et inclassables. Beaucoup de ces groupes sont des mélanges de genre et en quelque sorte des ovnis musicaux, ce que nous affectionnons particulièrement à LFSM. Ces femmes sont souvent issues de cultures musicales très variées et sont en général des « globe-trotteuses » (comme Andréa Balencyavec une nationalité ou origine qui n’a plus guère de sens – et cela s’entend !

Par ailleurs, nous sommes en train de tisser des liens de plus en plus solides entre Grenoble et Londres pour des raisons de logistiques aussi, avec des artistes comme Annie Eve, Findlay, Little Simz, This is the kit et C.A.R.

Nous n’imposons aucun formatage à ces artistes, sachant que pour certaines d’entre elles, Grenoble sera leur première scène. Nous nous attendons donc à des surprises, que j’espère excellentes. On ne sait pas encore ce que beaucoup de ces groupes vont nous proposer…

 

Plus d’informations sur http://www.lfsm.net/fr/programme/grenoble.html

Les 22, 24 et 26 mars au Ciel

2 rue Général Marchand, 38000 Grenoble

Le 28 mars à la Belle Electrique

Esplanade Andry Farcy, 38000 Grenoble