Une mega-banque pour sortir de l’impasse de la crise ?

Les « Économistes atterrés », collectif cofondé par Benjamin Coriat, nous avait démontré dans leur dernier ouvrage que des alternatives au laisser-faire néolibéral existent. 

Ce professeur de sciences économiques de l’Université Paris 13 part du constat que, à défaut de l’État, ce sont actuellement les grands actionnaires qui ont en main les décisions économiques et financières de la France. Quelle issue à cette problématique ?

LBP : Comment l’État français peut-il se réapproprier son pouvoir décisionnel en matière économique et financière ?

Benjamin Coriat : C’est avant tout une question de volonté politique, qui fait défaut en ce moment. À l’heure actuelle, il semblerait que plus on donne de libertés aux entreprises, plus on les laisse agir sans contrainte, mieux l’économie devrait s’en porter. C’est en tout cas la pensée implicite.

Il y a deux moyens principaux si on veut réarmer l’État tout en restant dans des actions réalistes.

Le premier serait d’effectuer une réforme bancaire, celle qui avait été envisagée auparavant. À savoir, séparer les banques d’affaires des banques de dépôts. Effectivement, ce n’est que si les banques d’affaires ne peuvent spéculer que sur leurs propres deniers que la spéculation diminuera.
Les banques de dépôts seraient ainsi amenées, parce que c’est leur vocation, à financer l’économie. Ce qu’elles ne font pas à l’heure actuelle. Elles jouent sur des marchés en spéculant sur des titres financiers très risqués, mais qui peuvent se montrer extrêmement lucratifs.
Comme Keynes le disait, il faut que le métier de banquiers redevienne ennuyeux.

Le deuxième moyen à la portée de l’État serait la création d’un fonds souverain.Ce fonds souverain ressemblerait les actifs de la Caisse des Dépôts et Consignations avec ceux de l’Agence des Participations d’Etat.
La Caisse des Dépôts, dont la vocation historique était de financer le logement social (ce qu’elle fait de façon infime), est, sous contrôle du Parlement, la dernière banque publique. Elle gère pour le compte de l’État et des collectivités territoriales les activités d’intérêt général.
L’Agence des participations d’État, pour sa part, gère la propriété publique des titres d’entreprise, sachant que l’État est un des principaux actionnaires de France.
Le rassemblement de tous ces actifs permettrait la création d’une « méga banque », qui de par son importance, aurait une capacité d’intervention active : elle pourrait, comme condition de financement, avoir un pouvoir de décision, forcer à des restructurations… Quitte à se défaire de certains actifs d’entreprises moins pertinents pour l’avenir de la France.
Un achat de participations conséquent dans certaines entreprises, y compris celles du CAC 40, permettrait à l’Etat de reprendre le contrôle de son économie. Une utilisation stratégique de ses actifs, et notamment dans des entreprises innovantes, qui créeront les emplois de demain, est capitale.


Pourquoi cette réforme bancaire, cheval de bataille du président de la République lors des campagnes électorales, n’a-t-elle pas eu lieu comme prévu ?

Le lobby bancaire français a pesé extrêmement lourd pour empêcher que cela se fasse. Si bien que la loi de réforme présentée par M. Moscovici, notoirement lié aux intérêts financiers, a sécurisé environ 1% des actifs des banques. Un chiffre dérisoire.

Y-a-t-il des liens entre le collectif des « Économistes atterrés » et les décisionnaires politiques ?

Très peu.
Notre rôle n’est pas d’être un lobby, nous nous considérons comme une organisation citoyenne, qui souhaite informer et armer les citoyens pour que les choses changent, qu’ils s’emparent de ces savoirs au sein de leurs organisations, associations, syndicats… Nous présentons en quelque sorte du travail d’experts citoyen au service des citoyens.
Nous sommes une association ouverte à toute personne souhaitant de se confronter aux questions d’économie, les étudier, participer aux débats…

Il y a une vraie demande, donc un vrai besoin en France, d’accès à notre expertise : Le premier manifeste s’est écoulé à quatre-vingts mille exemplaires, et nous recevons très fréquemment sur notre site web des messages d’encouragement, des demandes d’adhésion (environ quatre mille adhérents à l’heure actuelle) et des invitations à des conférences et débats.

Au-delà de la problématique française, reste à savoir si l’Europe a la capacité de s’unifier afin de faire évoluer la situation dans le bon sens.