Des oreilles et un soutien pour ceux qui débutent leur vie d’adulte
Magali Dichard exerce le métier de travailleuse sociale à Grenoble auprès d’un public jeune, comme salariée au sein du Service Logement Jeune de la Mutualité Française Isère (MFI), mais également en libéral à News FM, radio associative où elle accompagne des jeunes dans des actions d’insertion. Comment parvient-elle à assurer ses missions dans un contexte difficile ? D’autant que cela la place dans une situation paradoxale : « loger les gens dans un contexte de crise du logement, alors que moi-même j’essaie de mieux me loger et n’y arrive pas, c’est compliqué ! ».
Après un DEUG de psychologie et une licence en sciences de l’éducation, Magali suit une formation d’assistante sociale dans le cadre d’une reconversion professionnelle, juste après la naissance de sa fille. Auparavant surveillante en milieu scolaire, elle cherche une profession qui rassemble tous les domaines qu’elle apprécie : la psychologie, le droit et la débrouille au quotidien. Motivée par une conscience aiguë des inégalités sociales et l’aspect législatif du métier, son choix se porte sur la profession d’assistante sociale.
Dans son travail ses outils sont basés sur l’écoute et l’empathie. Elle croît beaucoup au dialogue, à l’écoute active, à tout ce qui touche à la relation et au discours. Elle cherche à valoriser la personne dans son environnement en l’amenant à considérer les actions qu’elle a déjà menées. Ainsi, les entretiens qu’elle mène ne portent pas uniquement sur l’aide sollicitée mais sont aussi des temps d’échanges sur le vécu de la personne.
Férue de musique et d’activités radiophoniques, Magali les mêle désormais à son métier puisqu’elle est travailleuse sociale indépendante à temps partiel dans une radio associative, New’s FM (101.2FM). Animatrice pendant cinq ans d’une émission hebdomadaire de ragga dancehall1, elle a voulu transmettre à son enthousiasme en créant un chantier d’insertion pour les jeunes.
En 2024, l’équipe de News Fm a démarré un projet d‘insertion professionnelle par le biais de l’outil radiophonique2 en cherchant à valoriser les compétences de jeunes de 16 à 25 ans adressés par des Missions Locales3. Ils réalisent des émissions pendant les trois mois de leur « chantier école d’insertion ». Un animateur polyvalent, un journaliste et un coach individuel les accompagnent et Magali Dichard y est travailleuse sociale. Les jeunes repartent avec plus de confiance en leur communication, leur expression, et leur éloquence et acquièrent plus d’assurance grâce à leurs nouvelles compétences techniques. Ils réalisent aussi des reportages qui leur apportent une meilleure connaissance de leur environnement social et culturel.
Par ailleurs, Magali travaille au Service Logement Jeunes4 de la MFI, à Grenoble. Elle y accompagne des jeunes n’ayant ni adresse, ni domicile, issus de parcours migratoires (sans droit ni titre de séjour) ou en errance géographique. Elle crée du lien avec eux, leur offre une écoute active dans un climat de confiance. Les personnes arrivent parfois dans un état de souffrance psychologique (cela concerne particulièrement les jeunes sans-papiers vivant seuls), ou avec un grand besoin de parler de ce qu’ils traversent. Il lui arrive de les orienter vers un psychologue, dans le cadre du dispositif Mon Soutien Psy.
Dans un second temps, elle oriente les jeunes, quand leur situation le permet, vers des associations ou dispositifs ou les accompagne dans des démarches administratives. Chaque conseil est personnalisé. Elle travaille avec plusieurs dispositifs de priorisation par rapport au logement5. L’accompagnement fonctionne quand la situation de la personne correspond à un dispositif existant, que la temporalité est la bonne et que les jeunes s’impliquent dans les démarches. Comme dans ce cas que nous partage Magali Dichard : « une jeune fille salariée que j’ai suivie s’est retrouvée à la porte de son logement après une rupture. Elle a fait appel à Action Logement qui a effectué une mise à l’abri et sollicité une mesure d’accompagnement6. Et pour que la jeune fille puisse accéder au logement, il fallait envisager une façon d’intégrer la caution dans son budget. Et elle n’avait pas de meubles, il fallait donc y remédier, et aussi prendre contact avec le bailleur et s’assurer que l’entrée dans le logement se passe au mieux. J’ai également réalisé des budgets avec elle pour la rassurer ».
A côté de cela, son travail revêt parfois la forme d’un étayage : aide à la déclaration d’impôts, ou pour des procédures administratives… Il lui arrive de se charger d’une formalité administrative ou d’aider les jeunes gens à se confronter au principe de réalité. Les procédures informatiques peuvent aussi représenter un obstacle lorsqu’elles sont complexes ou chronophages.
En dépit de cela, elle se sent à sa place dans cette activité : « j’ai réfléchi sur ce que je faisais, sur le sens de ce que je faisais, sur mes compétences. Je suis plus au clair avec le fait que je ne fais pas mon boulot pour que la personne m’aime bien. Les jeunes n’ont pas toujours une bonne notion du principe de réalité, parfois ça passe, parfois ça ne passe pas. Je pense que je fais du mieux que je peux ».
En outre, Magali Dichard est souvent confrontée au manque de dispositifs d’accompagnement pour les jeunes, leurs critères très précis et leur manque de pérennité. Cela lui demande beaucoup d’adaptation et lui laisse peu de marge d’action dans certains cas, voire cela l’empêche de mener sa mission à bien.
« De nombreux jeunes qui viennent nous voir n’ont pas de papiers, ils sont en grande souffrance aussi parce qu’ils sont seuls et vivent des situation extrêmement rudes. Aucune solution n’existe pour eux, et nous avons peu de solutions à leur apporter. À la base, ce sont des jeunes qui vont bien. Mais le parcours pour venir jusqu’à Grenoble, les conditions de vie ici, la non-reconnaissance et le racisme sont très durs à vivre. S’ils avaient le droit de travailler en arrivant sur le territoire, et que le travail accompli leur favorisait l’accès à un titre de séjour, ces jeunes pourraient s’insérer alors que c’est plus compliqué de l’être après cinq ans d’inactivité ».
Dans les cas où elle n’est pas en mesure de les aider pour leur logement, son action se limite à solliciter des aides alimentaires, obtenir une adresse dans un CCAS7 ou orienter vers des associations. C’est donc surtout un service d’orientation qu’elle propose dans ces cas-là. C’est un des aspects difficiles de son travail, de ne pas pouvoir toujours aider les personnes du fait des lois, et de devoir porter celles qu’elle désapprouve.
Le métier des travailleurs sociaux n’est pas sans difficultés. Notamment, ils sont la cible de critiques de la part des usagers puisqu’ils représentent des partis pris institutionnels. Il leur faut donc apprendre à se protéger. Pour pallier les aspects épineux de ce travail, le travail en équipe, la possibilité d’échange avec ses collègues sur les situations rencontrées et la participation à des analyses de la pratique sont une aide au quotidien.
Sa satisfaction, elle la trouve dans l’échange et la rencontre avec les jeunes qu’elle accompagne, ou quand elle sent qu’il est content parce qu’il a été accueilli, entendu ou entrevoit des solutions à ses problèmes.
Nous remercions Magali Dichard pour l’interview qu’elle nous a généreusement accordée.
Crédit photo : © Frédérique Hellé
- Le ragga dancehall est un style de musique, une danse et aussi toute une culture originaire de la Jamaïque. La musique est caractérisée par une mélodie répétitive, un rythme rapide
et un aspect festif. ↩︎ - La radio animée par les jeunes s’appelle Radio Bell, c’est une radio à l’intérieur de la radio. Les émissions sont audibles en podcast sur le site de la radio New’s FM. ↩︎
- Les jeunes participent à ces chantiers d’insertion dans le cadre de Contrats d’Engagement Jeunes (CEJ). ↩︎
- Magali Dichard travaille pour le service Appui Jeunes au sein du Service Logement Jeunes de la Mutualité Française Isère (MFI). Le Service Logement Jeunes donne des conseils et informations aux jeunes sur les questions liées au logement (sur la recherche locative et l’accès à une location) ainsi qu’à l’hébergement. Il les accompagne également en cas de problème pour rester dans leur logement. Il œuvre aussi pour le Comité Local de Logement Autonome des Jeunes (le CLLAJ), qui accueille tous les jeunes de l’agglomération de 16 à 30 ans pour éventuellement les orienter sur des problématiques ayant trait au logement et à l’hébergement.
↩︎ - Ces dispositifs de priorisation concernant le logement peuvent être ceux de Grenoble Alpes-Métropole, du Département de l’Isère, de l’Etat.
↩︎ - Des instances institutionnelles priorisent des dossiers d’accès au logement : le PALI, Plateforme d’Appui au Logement Inclusif, le Département de l’Isère et Grenoble Alpes Métropole par exemple.
↩︎ - CCAS : Centre Communal d’Action Sociale.
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