La technologie validiste

La technologie peut pallier un handicap. Pas le faire disparaître.

Des gadgets les plus simples aux outils les plus complexes, l’avancée technologique est une véritable aubaine pour l’inclusivité et l’autonomie des personnes en situation de handicap, notamment dans le cas du numérique ou des appareils dit “intelligents”. 

Reconnaissance vocale et d’image, aide aux déplacements, réalité augmentée, robot d’assistance ou encore les fameux “exosquelettes”, toutes ces technologies grandioses donnent l’impression de miracles, mais elles tentent surtout de pallier un problème plus vaste : le manque d’accessibilité généralisé.

Une aide non négligeable 


Tout comme elle facilite la vie de nombreuses personnes, la technologie peut faire des merveilles pour aider les porteurs de handicap.
Inutile de chercher bien loin : des outils numériques omniprésents comme les assistants virtuels offrent déjà une aide bienvenue… Siri, l’assistant virtuel sur iPhone, Google Assistant, l’application qui fonctionne par commande vocale, des systèmes comme Google Home ou Amazon Echo qui rendent possible l’ajustement de l’éclairage ou de la température par commande vocale. Les lecteurs d’écran intégrés comme VoiceOver et TalkBack Même les très controversées Intelligence Artificielle (IA) comme ChatGPT peuvent avoir leur utilité, notamment chez certaines personnes autistes qui y voient un bon moyen de s’entraîner à communiquer.

La technologie a aussi permis l’émergence de nombreux appareils spécialisés, que ce soit les prothèses intelligentes, les appareils auditifs ou encore des applications telles que Roger Voice pour retranscrire les appels à l’écrit, Handicap.fr pour aider à localiser des places de stationnement handicapé, ou même DynaVox EyeMax, qui permet de communiquer par des mouvements des yeux.


Pourtant, la technologie peut aussi être un frein à l’inclusion lorsque son obtention ou son utilisation n’est pas à la portée de ceux qui en ont le plus besoin.

Des technologies pas entièrement adaptées

Un coût trop élevé

«On demande à des gens déjà touchés par la pauvreté de payer des appareils très chers pour qu’ils puissent – tada ! – faire les mêmes choses que les autres.»

– Ashley Shay, professeure associée à l’université de Virginie, spécialiste des liens entre technologie et handicap

L’accès aux technologies nécessaires pour pallier à n’importe quel type de handicap représente un coût financier non négligeable

Si la France a l’avantage de bénéficier de diverses aides financières en matière de handicap (par le biais de la MDPH, des aides sociale, des associations d’inclusion et d’aides à l’emploi…) ces technologies restent hors de portée des plus précaires, qui sont nombreux chez les personnes atteintes de handicap, puisqu’en 2021 plus d’un quart des personnes handicapées de 15 à 59 ans vit sous le seuil de pauvreté

En 2022, WHO et l’UNICEF ont recensé plus de 2,5 milliards de personnes dans le monde ayant besoin d’appareils d’assistance (application de communication, fauteuils roulants, appareils auditifs…), dont près d’un milliard qui n’y ont pas accès, en particulier dans les pays les plus pauvres. 

Cette précarité prend tout son sens quand on prend note de la difficulté d’accès à l’emploi pour les travailleurs handicapés. Des difficultés qui restent omniprésentes même si la technologie facilite l’accès à l’emploi. Par exemple avec les outils de reconnaissance vocale, le télétravail pour ceux qui ont du mal à se déplacer ou encore la réalité virtuelle, notamment pour les personnes autistes en recherche d’emploi, qui peuvent s’entraîner aux entretiens dans des environnements réalistes et peu stressants. Mais les outils les plus communément utilisés manquent cruellement d’accessibilité. 

Le cas du web est particulièrement frappant. 

Une accessibilité secondaire

Un étude belge effectuée en 2024 montre que 94 % des sites web européens ne respectent pas les exigences d’accessibilité de base. Les contrastes sont souvent insuffisants, les polices illisibles, les images manquent d’alternatives textuelles, les vidéos ont trop peu de sous-titres… Dans la création des outils numériques modernes, l’accessibilité semble encore perçue comme une contrainte, ou même secondaire. Dans les cas les plus extrêmes, les sites sont rendus volontairement inaccessibles pour pallier aux dérives des nouvelles technologies (des images sans texte pour éviter d’être copié par les IA, ou même les CAPTCHA en tous genres…)  

En 2024, la France recense environ 14,5 millions de personnes de 15 ans ou plus vivant à domicile avec un handicap. Dans le monde, c’est environ 20% de la population qui est concernée par une situation de handicap. Autant de personnes susceptibles de se retrouver bloquées par les barrières numériques au quotidien.

Des technologies mal pensées

La mauvaise accessibilité des technologies ne se limite pas aux usages quotidiens mais peut également toucher les dispositifs spécialement prévus pour les personnes en situation de handicap. 

C’est le cas, par exemple, des technologies impressionnantes, valorisées pour leur intérêt médiatique. Vous avez peut-être déjà vu passer des vidéos sur des fauteuils roulants capables de grimper des escaliers. Ce genre de technologie existe depuis plusieurs années, on voit très souvent une université ou une start-up se targuer d’avoir conçu une nouvelle invention révolutionnaire qui va rendre la société plus accessible. Mais au final, ces technologies ne sont que rarement utilisées, malgré leur survalorisation médiatique : prix d’obtention trop élevé, technologie défaillante, difficulté d’entretien, circuit de maintenance en cas de panne inexistant.

Des défauts en grande partie dûs à des technologies réfléchies et conçues par des personnes valides, parfois sans la moindre interaction avec les principaux concernés.

Une étude américaine publiée en 2024 montre par exemple que moins de la moitié des recherches en robotique d’assistance physique incluent des utilisateurs handicapés. Biais que l’on retrouve dans de nombreuses branches de la technologie, par exemple la participation limitée des personnes en situation de handicap intellectuel dans la conception de technologies numériques.

Une technologie qui stigmatise

A quoi bon, alors, montrer des fauteuils roulants qui peuvent monter des escaliers mais qui seront difficiles à entretenir, alors qu’il est plus simple et moins coûteux d’installer des rampes d’accès et des ascenseurs ?
On peut y voir une dérive validiste, l’objectif n’étant alors pas tant de rendre les endroits accessibles aux personnes porteurs de handicap, mais bien de les rendre capables de monter des escaliers « comme un valide ».
À l’image du numérique, la création des bâtiments modernes se fait en mettant l’accessibilité au second plan. C’est à l’individu handicapé de s’adapter à son environnement, et non l’inverse, ce qui pose un poids supplémentaire sur leurs épaules.

Le livret « Handicap et IA : potentiel, risques et défis » publié en mai 2024 par CFHE, avertit que sans réglementation précise, les nouvelles technologies risquent d’accentuer encore davantage les discriminations envers les personnes handicapées.

Le cas de l’IA est particulièrement marquant puisqu’elle ostracise les porteurs de handicap vu comme hors de la norme et donc indésirables. Les cas sont nombreux de “chatbot recruteur” automatisant le tri des candidats à l’emploi, qui vont mettre de côté toutes les candidatures de personnes en situation de handicap car ils sont « moins performants ».

Cette tendance de mise à l’écart se remarque également dans la création de technologies qui camouflent une tare. comme c’est le cas des prothèses miniaturisées ; les aides auditives par exemple, toujours présentées comme discrètes et invisibles.

Repenser l’accessibilité

A l’heure du tout numérique, les dispositifs sont trop souvent focalisés sur le technologique et oublient l’importance de l’accessibilité généralisée et universelle. Car si le handicap est pratiquement invisibilisé lorsque la technologie fonctionne, il réapparaît violemment lorsqu’elle est défaillante ou mal pensée. Un simple ascenseur en panne peut très bien empêcher une personne en fauteuil d’accéder à un bâtiment.  

Sans même prendre en compte les nombreux problèmes comme l’aspect environnemental, les soucis de santé, d’éthique et toutes les failles de sécurité que la technologie à outrance imposée aux porteurs de handicap peut causer, peut-être faudrait-il réfléchir à la façon dont le handicap et l’accessibilité sont vus par la société. 

Lorsque le handicap est perçu comme un problème, il est logique de penser pouvoir y trouver une solution. Si la technologie peut aider pour des douleurs ou des dysfonctions en tout genre, les “problèmes” auxquels font face les porteurs de handicaps sont des problèmes sociaux et structurels par la façon dont ils sont perçus comme défaillants, cassés et mis à l’écart. Un problème de société qu’aucune technologie ne saurait solutionner. 

Si la technologie ouvre des perspectives prometteuses pour améliorer l’inclusion des personnes en situation de handicap, elle ne peut être ni pensée ni conçue sans elles. Au contraire, il faut trouver des solutions avec les personnes concernées, et non à leur place. L’accessibilité ne doit pas être un ajout tardif, mais une exigence systématique intégrée dès la conception, afin de concevoir des technologies qui soient vraiment utiles et inclusives.