Morts de rue : Paroles de militants

Dans le cadre des préparatifs à la commémoration annuelle pour les morts de (la) rue, le Bon Plan a rencontré une partie des membres du Collectif Mort de Rue de Grenoble pour les interroger sur leurs motivations.  Pourquoi participent-ils aux actions du Collectif ? Qu’est ce qui les mobilisent dans leur engagement ? Les propos recueillis de Claire, Michelle, Catherine, Pascaline, Éléonore et Christophe.

D’où vient l’idée de créer un tel collectif…?

Claire : Je prends la parole parce que j’ai été là dès le début. A Grenoble, il existe les réunions « Parlons-en » qui ont pour but de mettre en relation les acteurs sociaux, les associations, l’administration et les gens de la rue, entre autres, pour apporter une vision de « la ville vue depuis la rue ». Il y a presque trois ans, nous nous sommes rendus compte lors de ces réunions, qu’il y a un manque à combler… plus tard, Pedro Meca du Collectif parisien des Morts de la rue est venu à Grenoble pour présenter leur travail… et ensuite, nous sommes allés au Forum national des Collectifs à Paris. Nous avons pu voir ce qui se passait ailleurs, ce qui se faisait à Angers, Toulouse, à Bruxelles… et ça nous a définitivement inspirés.

L’idée a été de créer un lien parmi tous les acteurs. Nous avons donc réuni pas mal d’associations et de représentants de la ville à la Piscine pour discuter du projet et voir si on allait vraiment pouvoir créer quelque chose ensemble. Enfin, officiellement, le Collectif existe depuis le mois d’octobre 2011 avec trois missions principales : prendre soin du carré commun au cimetière – veiller à ce que l’endroit soit digne, centraliser les infos et les rediffuser le plus vite possible, ce qui aboutit le plus souvent aux participations aux obsèques, et enfin,  interpeller le public, attirer l’attention sur le sujet, parler des morts dans la rue et de la rue, un sujet tabou qui gêne.

Catherine : Les gens nous disent que c’est vachement bien ce qu’on fait mais une minute après ils tournent le dos et ils oublient. Ou bien certains pensent que les SDF l’ont bien cherché, qu’ils avaient mérité ce qui leur arrivent. Ce n’est que ces derniers temps que les gens commencent à accepter l’idée que ça puisse arriver à tout le monde.

Claire : Il est vrai que notre civilisation a un rapport étrange avec la mort. Et ici, c’est la mort dans/par la rue, donc deux sujets gênants associés. C’est encore plus compliqué, et de plus : on les traite sur la place publique !!
A ma surprise, personne ne nous a jamais dit : occupez-vous des vivants qu’on peut encore aider ! Mais ça reste néanmoins un sujet sensible. Par exemple, les gens ne viennent pas trop en débattre quand on organise des rencontres.

Les SDF ont-ils du mal à participer aux activités du Collectif ?

Catherine : Un peu. Ça les renvoie peut-être trop à leur vie, ça leur rappelle la perspective, la présence de la mort. C’est vrai, ils ont des vies suffisamment compliquées, pas la peine d’en rajouter. Même pour nous ce n’est pas facile parce que quelque part cela nous rappelle notre mort à nous aussi.

Claire : Je ne pense pas qu’il y ait un réel manque de participation de la part des SDF. Simplement, ils participent ponctuellement, très concrètement. Par exemple, ils ont la capacité de se mobiliser pour un ami décédé ou pour des actions pratiques mais les réunions, ça ne les intéresse pas.

Catherine : …Chacun s’implique à son rythme, selon ses moyens…

Michelle : Mais je pense qu’on devrait s’inspirer de Paris, de proposer des actions, des événements concrets, en avance sur l’année ce qui permettra de se projeter, de prévoir…

Pourquoi vous vous êtes engagés pour la cause des morts de rue ? Pourquoi avoir choisi le Collectif ?

Michelle : Quand je suis partie à la retraite, j’ai cherché à m’impliquer dans quelque chose qui aurait du sens. J’ai d’abord connu Solexine, ensuite une fois je suis venue à la Piscine et c’est comme ça que j’ai découvert le Collectif.

Catherine : La situation des SDF me préoccupait depuis très longtemps. Je me suis d’abord engagée à Point d’Eau et je me disais déjà depuis un moment qu’il nous manquait une telle structure à Grenoble donc quand j’ai appris l’existence du Collectif, ç’a été une évidence pour moi.

Mais pourquoi vouloir soutenir les sans-abris, pourquoi pas autre chose ?

Catherine : Les sans abris, ce n’est pas socialement porteur, donc il n’y a personne pour les défendre, les SDF n’intéressent pas grand monde. Quand les gens choisissent en quoi s’investir, ils cherchent souvent des choses plus sympathiques, des enfants malades, des animaux… ce n’est pas mauvais mais il faut aussi que quelqu’un choisisse les sans-abris.

Michelle : C’est bien qu’il y ait un côté très concret : on se mobilise pour faire une action qu’on voit, qu’on partage, on agit localement. En effet, ça permet réellement de changer le monde. Même si c’est sur une petite échelle, que pour une personne. Aussi, ça provoque, ça fait bouger les lignes dans les têtes des gens. Et puis il y a vraiment de l’humain dans ces activités.

Claire : Pour moi l’intérêt est aussi dans la « construction » de la ville qu’on analyse par ceux qui vivent dans la rue. Dans le Collectif, on essaie de ne pas avoir l’approche « aidons-les », on veut que les gens deviennent acteurs.

Pascaline : Je suis nouvelle, ça fait deux mois que je participe aux activités. Je fais une thèse et c’est dans mes recherches que j’ai découvert le Collectif. Mais au-delà de mon travail universitaire, ça m’a toute de suite parlé … c’est vrai qu’ici on touche les interrogations de beaucoup de personnes : peur de mourir seul, mourir mal…

Christophe : Il y a 10 ans, j’ai vu une annonce dans les journaux. Elle proposait de passer une nuit sur la place de Verdun. J’ai eu envie d’essayer. Quand j’ai vu l’endroit changer, arriver des gens dont je n’avait même pas soupçonné l’existence, ça m’a interpellé.
J’ai travaillé avec les demandeurs d’asile, parmi lesquels il y avait aussi des SDF, des malades, donc naturellement je me demandais s’il y en avait parmi eux qui mouraient de ces conditions. Mais quand j’ai posé des questions, personne n’a pu me répondre. Donc quand j’ai appris l’existence du Collectif, j’ai su que c’était ce que j’ai cherché.

Éléonore : Je m’intéresse aux questions liées à la mort depuis fort longtemps. J’estime que c’est quelque chose qui fait partie de notre vie. La problématique des SDF entre tout naturellement dans ces interrogations. Vous savez, dans la rue, il y a vraiment des personnes qui meurent comme des chiens. Il y a des questions qu’il faut que nous nous posions : qu’est-ce qu’on devient quand on laisse quelqu’un mourir de cette façon ?

Qu’est-ce qui vous apporte le plus de satisfaction dans votre engagement pour le Collectif ?

Christophe et Éléonore : C’est clairement aller aux obsèques. Quand on peut accompagner quelqu’un qui n’a personne. C’est lutter contre l’exclusion jusqu’au bout.

Éléonore : Et la commémoration aussi. On peut se dire que la vie continuera ensuite comme si rien ne s’était passé mais il s’est quand même passé quelque chose au moment donné dans la rue pendant la manifestation.

 

La Commémoration des personnes mortes de rue aura lieu le 3 juillet prochain. l’invitation est à consulter ici.

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