Poésie sur la ville

Des centaines de figurants, quinze récits pour raconter la ville, l’œil-caméra de Victor Hussenot scrute ce monde pressé et hétéroclite, traduit dans un album rempli d’émotions et de sensibilité. Une prose graphique singulière.

Les méandres urbains

Diplômé des Beaux-Arts de Nancy en 2010, Victor Hussenot s’illustre dans les revues Citrus, la Quinzaine Littéraire, XXI… Avec Les Spectateurs, il propose un graphisme dans la lignée de ses précédents albums La Casa, Le pays des Lignes et Les Gris colorés.

L’ouvrage commence par quelques mots énigmatiques : « En ville, chacun observe autour de soi, avec sa sensibilité… Le regard de l’esprit se libère…» Au fil des pages, l’auteur dévoile sa vision du parcours chaotique des citadins, au travers des lieux de passage, la rue, le métro, les quais, mais aussi plus largement la vie nocturne, les routines, les rencontres, et même l’intimité des pensées dans la solitude du logis.20160311 les spectateurs

Ainsi, il endosse plusieurs apparences. D’abord homme aux cheveux courts, habillé de rouge pour rencontrer une femme, il change littéralement de peau pour se vêtir de bleu avec une houpette sur le crâne ! Il affronte ainsi quelques souvenirs douloureux en s’en fabriquant de nouveaux pour alléger sa peine. L’homme moderne deviendrait-il autre selon les circonstances ?

Peu de mots profonds, la vérité est ailleurs

Victor Hussenot utilise habilement la couleur pour accompagner sa narration. En se substituant aux mots, elle lui permet d’exprimer les sensations, de rendre perceptible les tensions, les humeurs, et même les réflexions des personnages. Il choisit de laisser au lecteur la libre appréciation de la communication entre les personnages. Il préfère le silence pour produire du sens et transcender les mots pour élargir le champ des perspectives.

On se perd un peu dans tous ces mystères. Un peu comme ces personnages qui cherchent leur chemin, le regard du lecteur erre de vignettes en vignettes, sa mise en page agréable sans pagination, très recherchée. Son dessin en aquarelle accentue encore cette impression fantasmagorique. Elle devient même presque effrayante, quand les spectateurs, l’œil rond, visionnent le monde comme des projecteurs de salle de cinéma.

Les observations de l’auteur, sans manquer de pertinence à bien des égards, apportent peu de nouveauté. Difficile, en effet, d’inventer une vision originale de la ville, de la solitude ou de la rencontre de l’autre… Son originalité ne tient pas à son discours. Peut-être est-ce d’ailleurs là la particularité de son talent : montrer l’authentique et le banal sans fards ni enluminures mieux qu’un cameraman avec pour seul arsenal la créativité de son pinceau ?

Ainsi, Les Spectateurs richement accompagné de superbes illustrations se referme à regret et laisse place à cette simple question : finalement, quel spectateur suis-je ?

 

20160311 Spectateurs CouvLes Spectateurs
Victor Hussenot
Gallimard Bande Dessinée
96 pages, 18 €