Mitterrand, de droite ?

François Mitterrand, ancien président de la République décédé en 1996, fut un homme complexe au parcours sinueux. Philippe Richelle et Frédéric Rébéna se penchent en BD sur ses jeunes années, de 1935 à 1945, tandis que se forgeait l’homme qu’il allait devenir.

En 1984, les députés François d’Aubert, Alain Madelin et Jacques Toubon accusent le président de la République François Mitterrand de collaboration avec l’Allemagne nazie durant l’Occupation. Il est ainsi chargé d’une double trahison : la première, vieille de quarante ans, envers son pays et la deuxième, plus récente, envers ses électeurs en les trompant sur sa réelle orientation politique.
S’il est vrai que Mitterrand a travaillé pour l’administration vichyste, cela signifie-t-il pour autant qu’il a collaboré ? Les lignes étaient-elles si nettes en cette période trouble de l’histoire de France ?

Un passé qui ne passe pas

La BD nous lance sur les pas de son héros en 1935. Mitterrand a alors dix-huit ans ; il vient d’intégrer la Faculté de lettres et de droit de Paris. Issu d’un milieu catholique et conservateur, il en est le fidèle produit mais se tient à distance des dérives extrêmes de son bord idéologique : il rejette par exemple toute forme d’antisémitisme ou l’usage de la violence comme instrument politique.
Renonçant à ses sursis, il commence son service militaire en 1938 puis participe à la Seconde Guerre mondiale ; fait prisonnier, il s’évade et rentre en France en 1942. Il rejoint alors l’administration vichyste.

Cet engagement est la pierre angulaire de l’accusation de collaboration portée contre Mitterrand ; cette analyse fait cependant abstraction de la complexité de la situation politique en vigueur.
En 1940, le régime de Vichy succède à la IIIe République et apparaît naturellement comme l’État français : la partition de la France entre zone occupée et zone libre entretient l’illusion d’une continuité de l’autorité politique française. Enfin, la ligne gouvernementale pétainiste n’est pas, au début, collaborationniste : elle cherche plutôt à concrétiser les idées de la droite de l’entre-deux guerres, résumées dans son propre triptyque : « Travail, Famille, Patrie ».

Mitterrand, en intégrant l’administration vichyste, ne fait donc que se mettre au service de la France et participer à l’application d’une idéologie proche de la sienne. Il entre d’ailleurs en Résistance dès la fin du régime vichyste qui mute en administration collaborationniste après l’invasion de la zone libre en novembre 1942.

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 Le reflet d’une société

Refusant le manichéisme, tant celui des autorités d’après-guerre qui voulurent peindre une France intégralement Résistante que celui de la doxa contemporaine qui se flagelle en imaginant une France toute entière collaborationniste et antisémite, le scénariste Philippe Richelle fait revivre une époque dans toutes ses nuances, exposant la multitude de lignes idéologiques qui a existé là où nous avons tendance à plaquer une logique binaire et simpliste.
Le dessin de Frédéric Rébéna ne s’y trompe pas : peu de plans de paysage, des décors à peine esquissés quand ils ne sont pas absents… ce sont les personnages – et leurs discours – qui sont au cœur de l’histoire, comme le soulignent les plans cadrés sur eux, l’intensité avec laquelle ils sont parfois crayonnés, comme si le dessinateur avait en vain cherché à transcrire une profondeur incompatible avec seulement deux dimensions.

Cette période n’était pas plus simple que la nôtre et Mitterrand le jeune homme de droite, fonctionnaire vichyste, Résistant et finalement champion unificateur de la gauche en 1981 en illustre toute la complexité.

 

20151026 mitterrandbMitterrand – Un jeune homme de droite
P. Richelle & F. Rébéna
Éditions Rue de Sèvres
152 pages / 18 €